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vendredi 19 septembre 2014

Peut-on échapper à notre "monde implicite"?




 1942

 10 février

" Passant en train devant la mer à la Pineta(1), une mer basse et nocturne, tu as vu les petits feux lointains et tu as pensé que cette scène, cette réalité à beau t'emplir de velléités « de dire », t'inquiéter comme un souvenir d'enfance, elle n'est pourtant pour toi ni un souvenir ni une constante de ton Imagination, et elle t'impressionne pour des raisons littéraires ou analogiques frivoles mais ne contient pas, comme une vigne ou l'une de tes collines, les empreintes de ta connaissance du monde. 





Il en résulte que de très nombreux mondes naturels (mer, lande, forêt, montagne, etc.) ne t'appartien­nent pas parce que tu ne les as pas vécus en temps voulu et que, si tu devais les exprimer poétique­ment, tu ne saurais pas te mouvoir en eux avec cette secrète richesse de sous-entendus, de sens et de prétextes, qui donne sa valeur poétique à un monde. Tu dois dire la même chose pour la sphère des rapports humains, pour les êtres humains : seuls, ces situations et ces types qui, peu à peu, ont émergé de toi et qui se sont détachés sur le fond de ta connaissance initiale ont eu le temps (jusqu'à maintenant) de se graver dans ton esprit et de projeter ces innombrables et secrètes radicelles allusives qui donnent sang et vie aux créations. En somme, tu ne peux en le voulant t'intéresser poéti­quement à un pays donné ou à un milieu donné et les faire vivre, qu'en les réduisant aux moules (insuffisants) de ton enfance/jeunesse. Tu ne peux donc échapper (du moins pour le moment) à un monde déjà implicite dans ta nature perceptive, de même que, dans la vie pratique, tu ne peux échap­per à la détermination de ta nature volitive, déter­mination qui s'est produite en grande part durant ta première adaptation au monde. 





Reste à voir si, dans les deux domaines, l'actif et le créateur, tu dois te limiter à fouiller et à comprendre toujours plus à fond la réalité qui t'est déjà donnée, ou s'il est profitable d'affronter continuellement des cho-
 ses, des figures, des situations, des décisions qui te sont étrangères, amorphes, et de tirer de ce heurt et de cet effort un développement et un accroissement continuels de tes capacités. La question est tout entière de savoir si, une fois que la première con­naissance s'est produite, on vit spirituellement de rentes ou si l'on ne peut pas accroître tous les jours son capital. Il semble évident que, si fatigant et ter­rible que ce soit, les deux voies peuvent se conju­guer, et qu'une expérience infantile élaborée dans la maturité sera un point de départ différent et nouveau."

 1. Il pourrait s'agir de la pinède de Viareggio.






Cesare Pavese Le métier de vivre, Folio Gallimard, traduction de l' italien par Michel Arnaud.





L' ensemble des photos Versus.
ITALIE
Lac de Garde à Bardolino
Affiche sur le lac de Garde
Vignes à Gargagnago di Valpolicella
Pierre tombale à  San Ambrogio di Valpolicella
Affiche de ville à Rovereto
Plage de San Mauro Mare


samedi 13 septembre 2014

Des années après

A Tina,  Davide et Marco...



ANNI DOPO

La splendida la délirante pioggia s'è quietata,
con le rade ci bacia ultime stille.
Ritornati all'aperto
amore m'è accanto e amicizia.
E quelle, che fino a poco fa quasi implorava,
dall'abbuiato portico brusîo
romba allé spalle ora, rompe dal mio passato:
volti non mutati saranno, risaputi,
di vecchia aria in essi oggi rappresa.
Anche i nostri, fra quelli, di una volta?
Dunque ti prego non voltarti amore
e tu resta e difendici amicizia.






DES ANNÉES APRÈS

La splendide la délirante pluie s'est calmée, 
de ses rares ultimes gouttes nous embrasse. 
Revenus en plein air,
 l'amour est à mes côtés, l'amitié. 
Et, qui presque implorait il y a peu encore, 
depuis le sombre porche ce brouhaha 
gronde par-derrière, surgit de mon passé : 
visages inchangés sans doute, trop connus, 
un air de vieux en eux aujourd'hui figé. 
Et parmi eux les nôtres, ceux d'autrefois ? 
Alors je t'en prie, amour, ne te retourne pas 
et toi reste et défends-nous, amitié.

Vittorio Sereni Les instruments humains Verdier 1991

Traduit de l' italien par Philippe Renard et Bernard Simeone.










Bagno Berto San Mauro Mare photos Versus sept. 2014.

jeudi 11 septembre 2014

Un retour





 Sul lago le vêle facevano un bianco e compatto poema 
ma pari più non gli era il mio respiro 
e non era più un lago ma un attonito 
specchio di me una lacuna del cuore.




 Sur le lac les voiles faisaient un poème blanc et compact 
mais mon souffle n'était plus leur égal 
et ce n'était plus un lac mais de moi 
un miroir stupéfait une lacune du cœur.

Vittorio Sereni
Les instruments humains

Traduit de l' italien par Philippe Renard et Bernard Simeone  Verdier éditeur 1991.




Lac de Garde à Bardolino, 6 septembre 2014, photos Versus.