Parc Ste. Geneviève Évry, polaroid original versus 1970. |
" Vers l'âge de 13, 14 ans, tout en apprenant des choses, j'ai commencé à écrire. Dès cet instant, j'ai vraiment compris que c'était mon destin, d'une certaine façon. Donc j'ai très vite lu énormément de choses, j'avais déjà lu pas mal de choses, mais j'ai très vite lu l'histoire de la poésie, et ce que déjà j'entendais à la fin de mon cycle
secondaire, je ne sais pas comment ça fonctionne maintenant, troisième, seconde, première, je ne peux pas dire que je m'ennuyais, mais tout ce que j'entendais, je le savais déjà. C'était pourtant assez intéressant et assez raffiné, à cette époque-là. Ce qui m'avait conduit à ça, c'est que je fais partie encore d'une génération qui a été, du moins dans les collèges, dans certains collèges disons confessionnels, moi c'était des collèges catholiques... il y avait une éducation classique, ce qu'on appelait la rhétorique, qui n'avait pas tellement changé...
j'ai eu le même enseignement que mon père, et que mon grand-père même. Mon grand-père est né en 1870, donc il a fait ses études avant 1890. Il est mort après 1950, j'avais pratiquement le même enseignement que lui. Latin-grec, une langue vivante, qui était pour moi l'anglais, qui pour mon père avait été l'espagnol, qui pour mon grand-père avait été l'allemand. Mon grand-père et mon père étaient médecins, médecins de campagne, c'était des médecins des pauvres, ce n'était pas des médecins riches et de riches. Enfin, ils soignaient des riches comme tout médecin, ils ont le devoir de soigner tout le monde, bien entendu. J'ai eu un des derniers soubresauts, mais tout de même assez majestueux, de cet enseignement-là. Ce qui fait que j'ai tout de suite aimé le grec et le latin, et que c'est plus dans ce domaine-là que j'ai appris la construction des phrases, le rythme, et même la langue, ce qu'est une langue. Quand vous l'apprenez dans une langue comme le grec, par exemple, quand vous apprenez ce qu'est la langue dans un alphabet qui n'est pas celui que vous avez tous les jours, vous commencez à vous poser des questions sur la langue, forcément. Ça doit être, sans doute, extrêmement plus intéressant
aujourd'hui pour ceux qui ont la possibilité de lire dans l'alphabet arabe, par exemple, qui est beaucoup plus éloigné que ne l'est l'alphabet grec du nôtre. Ou dans les caractères chinois, ça doit être très intéressant. Cette question est importante. Pas seulement la question de la traduction. On apprend d'abord une langue qui est une langue morte, qui ne se parle plus, qui a été parlée dans un temps, dans des temps légendaires au fond, le grec, même le latin, le grec surtout, qui n'a plus été parlé après que par des érudits, s'agissant du grec, le latin c'est un peu différent. Donc, vous êtes devant une langue extrêmement étrange. Vous vous posez des questions sur l'existence de la langue entre les hommes. Ça vous fait réfléchir aux civilisations dans lesquelles ces langues ont été parlées, vous imaginez, si vous avez un peu d’imagination. Ce qui était quand même notre cas, puisque nous vivions...
j'ai été dans une première école qui était dans la montagne, dans le Massif central, dans un endroit particulièrement sévère, où il y avait de la neige cinq mois de l'année, mais de la neige, un mètre, deux mètres de neige, une petite école, qu'on appelait à l'époque une école cléricale, c'est-à-dire une école qui faisait sixième, cinquième, quatrième, qui était censée préparer les enfants, qui étaient en grosse majorité les fils des paysans pauvres, très pauvres, de la région, les préparer à ce qu'on appelait le petit séminaire. Dans l'enseignement catholique, petit séminaire, grand séminaire, et après vous êtes prêtre, de longues études." (...)
Pierre Guyotat
Leçons sur la langue française, à l' université Paris VIII
Dans La Revue Littéraire N°1 avril 2004 Éditions Léo Scheer.