" Il y a les objets de musée et les autres. Ces catégories sommaires et souvent arbitraires reposent sur des critères fragiles de réputation et d'habitude. Les sociétés changent mais tout le monde n'a pas le même mauvais goût. Qui sait ce que dans un siècle le musée recueillera de notre temps ? Peut-être précisément le plus éphémère parce que devenu le plus rare et c'est avec ce regard du conservateur de demain qu'il convient de considérer le document d'aujourd'hui, banal et dérisoire, comme l'étaient ces mêmes objets familiers et précieux des temps passés qui sont le charme de nos musées.
On ironise volontiers sur le collectionneur que l'on tient pour un personnage généralement désuet dont l'activité frise l'obsession pathologique. Sérieusement, c'est faux. Ou alors il faut tenir pour maniaques, absurdes, tordues, toutes les bonnes gens qui conservent à différents titres notre patrimoine sentimental, esthétique. Notre culture est faite aussi bien de ces objets communs, que par accident l'amateur privilégie, que des chefs-d'œuvre du Louvre dont le prestige repose quelquefois sur des conventions et sur l'autorité qui s'attache à des mythes. La notion d'art est fluctuante et il suffit qu'un fer à chaussure soit exposé dans un musée pour qu'il soit investi d'une signification nouvelle qui lui est proprement étrangère. C'est ridicule mais ainsi le veut la mode du moment : il est bien évident que l'intérêt attentif et peut-être exagéré que nous portons aujourd'hui à des machins détournés de leur sens primitif ne s'expliquerait pas sans la vision que nous en avons actuellement après une génération pénétrée de technologie, d'ethnologie, d'écologie, de nouveau réalisme, de figuration narrative, d'art minimal, pauvre et conceptuel, une génération enfin qui, cherchant dans le désordre à imaginer un ordre plus conforme à ses aspirations, affecte volontiers la parodie pour mieux remettre en cause la tradition des idées subies.
Il va de soi que les collectionneurs ne sont pas solidaires encore moins conscients de cette situation mais par contre, et plus que d'autres sans doute, ils éprouvent la nostalgie d'un monde qui se défait et la nécessité, chacun à sa manière et à sa mesure, d'en sauver les bribes pour qu'elles portent témoignage. Car tout n'était pas aussi consternant qu'on le dit ni plus absurde... mais peut-être qu'il y a aussi, dans l'accaparement ou la possession des valeurs, surtout les plus fugitives, comme une manière de s'approprier le temps, de se prémunir instinctivement contre la mort qui guette.
Les objets sont des témoins précieux. Ils relèvent aussi bien de la notion traditionnelle de l'art que de la mode ou plus généralement de l'histoire des mœurs. Mais un dénominateur commun les rassemble : c'est la passion.de ceux qui les ont réunis, une passion qui se moque des moyens, une passion créatrice qui suppose méthode, patience obstination, érudition. Parce que la passion est une, absolue, elle exclut toute celle des genres, des arts et des objets. "
Les objets sont des témoins précieux. Ils relèvent aussi bien de la notion traditionnelle de l'art que de la mode ou plus généralement de l'histoire des mœurs. Mais un dénominateur commun les rassemble : c'est la passion.de ceux qui les ont réunis, une passion qui se moque des moyens, une passion créatrice qui suppose méthode, patience obstination, érudition. Parce que la passion est une, absolue, elle exclut toute celle des genres, des arts et des objets. "
François Mathey in Préface du cataloque ILS COLLECTIONNENT, Musée des arts décoratifs Paris 1974.
Photos 1,2,3, Versus
Photos 4 et 5, catalogue du Musée des arts décoratifs 1974.