Georges Borgeaud avec son chat devant la porte de son pigeonnier en 1987. Photo Versus. |
" Ainsi fut rendue à la vie inspirée un pigeonnier que l' indifférence des hommes avait exposé aux hivers et à la calcination des étés, aux caresses de la lune et aux rôdeurs à fusil. Depuis que je l'occupe, le besoin d'avoir à chercher un nouveau lieu pour une heure de plénitude n'existe plus. Les vagabondages qui remplaçaient mon grand besoin d'une halte un peu prolongée se sont raréfiés depuis. Parfois je pense qu'il y a peut-être là une forme perfide d'amollissement de l'esprit.
Le Grès n'est pas non plus un enracinement car il aurait fallu pour cela y avoir été introduit depuis longtemps, comme la vigne dans un pays. Je me suis seulement ressaisi à temps, comme quelqu'un qui au bord de l'abîme s'agrippe à l'arbrisseau. Avant la chute dans l'irrésolution, j'ai agi comme je l'aurais fait dans mes lieux d' origine, si ceux-ci m'avaient tant soit peu retenu. J'ai décidé de m' y plaire comme un exilé. J'y prolonge des jours, reçois des amis, fais pour eux et pour moi-même des dînettes de célibataire. J'abîme ma " main à plume " aux petits travaux de jardinage, aux divers bricolages, sans oublier, après d'inévitables mais peu sérieuses blessures, de me conduire en toute hâte chez le médecin pour une vaccination contre le tétanos. J'ai failli marcher, un jour, à pieds nus, sur un petit serpent dont je me demande encore s'il s'agissait d'une vipère. Je mets mes peurs à l'abri quand les orages tapageurs tombent sur ma doline, ressortant quand les averses ne se mêlent plus aux éclairs et au tonnerre, les recevant sur ma nudité avec cette sensation douteuse d'être rendu à la pureté primitive. Je ramasse du bois mort pour la cheminée qui en est friande. Je fais même mes lessives. Le soir, enfin, j'arrose le jardin potager en tenant une lance de cuivre derrière laquelle il y a vingt mètres de tuyau de plastique rouge, lové sur la terre pelée et la tiédeur des cailloux. Une tâche délicieuse: attacher les tomates, le buisson de romarin qui verse de tout son poids, une petite vigne dont les grappes tardives mûrissent après mon départ, une branche alourdie de ses prunes. Chacune de ces activités me laisse dans la main une odeur distincte que j'emporte au bout de mes doigts, dans mon sommeil, et dont certaines sont ineffaçables pour un temps et surprenantes. Enfin, j'ai nourri des chiens errants jusqu'au jour où ils disparurent, les uns après les autres. Mieux ne pas savoir comment.
Le Grès n'est pas non plus un enracinement car il aurait fallu pour cela y avoir été introduit depuis longtemps, comme la vigne dans un pays. Je me suis seulement ressaisi à temps, comme quelqu'un qui au bord de l'abîme s'agrippe à l'arbrisseau. Avant la chute dans l'irrésolution, j'ai agi comme je l'aurais fait dans mes lieux d' origine, si ceux-ci m'avaient tant soit peu retenu. J'ai décidé de m' y plaire comme un exilé. J'y prolonge des jours, reçois des amis, fais pour eux et pour moi-même des dînettes de célibataire. J'abîme ma " main à plume " aux petits travaux de jardinage, aux divers bricolages, sans oublier, après d'inévitables mais peu sérieuses blessures, de me conduire en toute hâte chez le médecin pour une vaccination contre le tétanos. J'ai failli marcher, un jour, à pieds nus, sur un petit serpent dont je me demande encore s'il s'agissait d'une vipère. Je mets mes peurs à l'abri quand les orages tapageurs tombent sur ma doline, ressortant quand les averses ne se mêlent plus aux éclairs et au tonnerre, les recevant sur ma nudité avec cette sensation douteuse d'être rendu à la pureté primitive. Je ramasse du bois mort pour la cheminée qui en est friande. Je fais même mes lessives. Le soir, enfin, j'arrose le jardin potager en tenant une lance de cuivre derrière laquelle il y a vingt mètres de tuyau de plastique rouge, lové sur la terre pelée et la tiédeur des cailloux. Une tâche délicieuse: attacher les tomates, le buisson de romarin qui verse de tout son poids, une petite vigne dont les grappes tardives mûrissent après mon départ, une branche alourdie de ses prunes. Chacune de ces activités me laisse dans la main une odeur distincte que j'emporte au bout de mes doigts, dans mon sommeil, et dont certaines sont ineffaçables pour un temps et surprenantes. Enfin, j'ai nourri des chiens errants jusqu'au jour où ils disparurent, les uns après les autres. Mieux ne pas savoir comment.
L'un d'entre eux s'attacha si frénétiquement à moi qu'à l'aurore, je le trouvais couché devant ma porte qu'il gardait jalousement. La nuit il vagabondait, le jour il me gardait. Le principe en était si bien établi qu'il finit par être paralysant pour moi. Je préfère l'angoisse que me donne l'indépendance de ma chatte quand elle a décidé de retarder, la nuit, son retour à la maison et qu'il me faut laisser la porte ouverte. Parfois, je l'appelle avec de l'impatience dans la voix ou l'attends dehors pour la trouver enfin, indifférente, endormie en boule, sur la couverture du lit.
La maison du Grès a guéri chez moi une instabilité peut-être plus spirituelle que physique, la dispersion de l'esprit qui souhaite être ailleurs que là où la fatalité le fixe. Grâce à elle, depuis de nombreuses années, je rassemble mon attention sur un espace restreint de la nature, en apparence sans grand attrait pour le passant mais inépuisable à mes yeux. On pourrait appeler cela l'école du regard si l' expression n'avait point été attribuée à une école romanesque de cadastre. A me pencher sur la répétition, je ne ressens ni lassitude, ni ennui et quand parfois mon enthousiasme s'amincit, j'en souffre comme le mystique qui se croit privé de la présence de Dieu. Le remède à cette panne de l'attention est de se laisser ingénument émerveiller par l'ordinaire de la vie. Avoir la conviction du miracle perpétuel, autrement dit. Si cela ne suffit pas à réveiller notre ferveur, il faut s'exalter à participer à des besognes communes, à vouloir dans la nature encourager ce qui s'émousse, à remplacer au jardin l'inculte par une explosion de fleurs et de légumes, à épauler un prunier en le greffant pour le pousser à fructifier, voire même à combattre dans le carré des salades et des rames de petits pois limaces et pucerons. J' ai prévenu, ainsi, la défaillance d'un rosier blanc, sans oublier pourtant qu'après moi, un jour, tout ce que j'aurai entretenu défaillira."
La maison du Grès a guéri chez moi une instabilité peut-être plus spirituelle que physique, la dispersion de l'esprit qui souhaite être ailleurs que là où la fatalité le fixe. Grâce à elle, depuis de nombreuses années, je rassemble mon attention sur un espace restreint de la nature, en apparence sans grand attrait pour le passant mais inépuisable à mes yeux. On pourrait appeler cela l'école du regard si l' expression n'avait point été attribuée à une école romanesque de cadastre. A me pencher sur la répétition, je ne ressens ni lassitude, ni ennui et quand parfois mon enthousiasme s'amincit, j'en souffre comme le mystique qui se croit privé de la présence de Dieu. Le remède à cette panne de l'attention est de se laisser ingénument émerveiller par l'ordinaire de la vie. Avoir la conviction du miracle perpétuel, autrement dit. Si cela ne suffit pas à réveiller notre ferveur, il faut s'exalter à participer à des besognes communes, à vouloir dans la nature encourager ce qui s'émousse, à remplacer au jardin l'inculte par une explosion de fleurs et de légumes, à épauler un prunier en le greffant pour le pousser à fructifier, voire même à combattre dans le carré des salades et des rames de petits pois limaces et pucerons. J' ai prévenu, ainsi, la défaillance d'un rosier blanc, sans oublier pourtant qu'après moi, un jour, tout ce que j'aurai entretenu défaillira."
Emission en direct à Europe 2 à Cahors en 1987 de Georges Borgeaud à propos de son prix Medicis par Versus, photo versus. |
Repas en compagnie de Georges Borgeaud , photo versus 1987. |
Georges, le pigeonnier et un peu du paysage du Grès, 1987 photo versus. |
Un fond Georges Borgeaud se consulte ICI.