Troisième page du quotidien LIBERATION du 21 02 2012.
Amies blogueuses et amis blogueurs, vous sentez-vous, à la lecture de cette phrase de l' artiste chinois Ai Wei Wei,vous aussi un média chargé d' un message?
Première constatation : l'œuvre de Francis Ponge me concerne, elle me regarde. Elle me parle de (et je sais bien tout ce qu'il y a d'« à contre courant » dans cette expression « elle me parle de ») la cigarette qui est dans mon paquet. Du verre d'eau qui est devant moi. Du savon avec lequel je me lavais ce matin. De la serviette éponge que j'utilisais sur la plage hier. De la pluie qui tombait l'autre soir. Du pré qui est en bas du château de Cerisy. De la crevette et du plat de poissons frits que je trouvais sur ma table en passant de Bretagne en Normandie. Et même d'objets comme le téléphone que je manipulais il y a un instant. Et aussi de ce pigeon qui s'est posé au-dessus de la bibliothèque hier après-midi. Tout cela, c'est une fête. C'est la fête. Et je suis bien d'accord pour dire que c'est d'abord une fête de l'écriture et du langage. Et que la signature de Francis Ponge y est au centre. Mais c'est aussi autre chose. On lit dans Pour un Malherbe : « La poésie est un élément du monde concret, du monde de tous les jours. Ainsi se justifie-t-elle ». Et dans le texte, déjà plusieurs fois cité, Raisons de vivre heureux : « L'on devrait pouvoir à tous poèmes donner ce titre : Raisons de vivre heureux. Pour moi du moins, ceux que j'écris sont chacun comme la note que j'essaie de prendre, lorsque d'une méditation ou d'une contemplation jaillit en mon corps la fusée de quelques mots qui le rafraîchit et le décide à vivre quelques jours encore. Si je pousse plus loin l'analyse je trouve qu'il n'y a point d'autre raison de vivre que parce qu'il y a d'abord les dons du souvenir, et la faculté de s'arrêter pour jouir du présent, ce qui revient à considérer ce présent comme l'on considère la première fois les souvenirs : c'est-à-dire garder la jouissance présomptive d'une raison à l'état vif ou cru, quand elle vient d'être découverte au milieu des circonstances uniques qui l'entourent à la même seconde. Voilà le mobile qui me fait saisir mon crayon (Étant entendu que l'on ne désire sans doute conserver une raison que parce qu'elle est pratique, comme un nouvel outil sur notre établi) ». Voilà ce qui me pousse à dire que Francis Ponge est probablement le seul « poète » à avoir vérifié et illustré d'une façon radicale cette règle qu'Eluard empruntait à Lautréamont, mais qu'il posait plus qu'il ne l'appliquait : La poésie doit avoir pour but la vérité pratique.
Raymond Jean
Extrait en prépublication du Colloque Francis Ponge à Cerisy en 1975 revue SUD n° 16.
Ici, l' édition originale de Comment une Figue de paroles et Pourquoi de Francis Ponge, éd. Digraphe Flammarion 1977.
En suivant, l' édition du numéro 1 de la revue Tel Quel dans lequel fut publié pour la première fois un extrait de La Figue(sèche) de Francis Ponge.