" Voir l'être aimé de loin Peut-être est-il rentré Voir la maison Seulement la maison La place Loin encore la place La rue Des roues Atteindre l'angle Atteindre le point de vue et de loin ne serait-ce qu'apercevoir deviner la présence Une dernière fois HORREUR SEUL Tu parles tout seul En finir Non
Mais où sont donc ces photos C'est toi qui les as Mais non Si je crois que tu les as mis dans ta pièce Les photos avec le chat Oui les clichés en couleur Je les ai retrouvées l'autre jour je les ai mises en lieu sûr Plus moyen de les retrouver Comment cela se fait-il On trouve toujours les choses sauf quand on en a un besoin immédiat O elles ne sont pas perdues ces images Mais c'est là maintenant qu'il me les faut que je veux les avoir que j'ai besoin de les regarder Tu veux les voir Je désire les voir J'en ai besoin Pour mon roman Toutes les choses qu'on retrouve toujours trop tard Quand je les retrouverai ce sera trop tard trop tard Je ne serai pas disposé à les regarder Je ne serai plus dans le même état d'esprit Je n'aurai plus la réceptivité II suffit d'un regard d'un objet et je sais je sens que tout redémarrerait La vie serait là Vécue Revécue Rêvée Mais ce ne serait pas pareil Vie Rêve Un seul état de la matière Un seul état de moi Là Tout de suite II sera trop tard Les choses arrivent toujours quand on n'en a plus envie On est content de les voir arriver mais quelle déception toujours cet arrière-goût de cendres Quelle déception Quand même Ce n'est pas trop tôt Rien n'est pareil Même les morts ne sont plus pareils quand on en parle trop tard Ce ne sont plus les mêmes mots Ce ne sont plus les mêmes morts Gloire à un tel Raminagrobis Poète II porte en lui le destin des villes des banlieues II vibre du métro et souffre et souffle avec la foule Chante l'enfance trop tôt perdue Trop tard Trop tard C'était C'était lui C'est un autre Tard Trop tard Une photo en couleur Un chat roux endormi sur les genoux d'une fillette La couleur n'est pas juste Elle fait cinéma Mauvais film en couleur Trop crue et déjà ternie Le voile des rideaux sur la lueur de l'été sur la peur de l'été Tamisant la chambre calme On devine des taillis un air d'entente La paix des familles Trop tard Trop tard La photo déchirée Un visage Un visage blanc blafard blême sur fond crémeux Etait-ce Est-ce Qui Ombre dans le
vécu plus belle dans le crème le chamois de l'épreuve Mais peut-être ne t'ai-je jamais vécu Peut-être nos rêves parallèles s'étiraient sans fin et sans se toucher L'unité L'unité Quelle ascèse nous l'aurait donnée L'unité On n'avait pas appris à la vivre Les gestes instinctifs nous poussaient nous semblaient beaux comme la création du monde Ces minutes ineffables où nous inventions tout Où nous nous Inventions nous-mêmes Cette connaissance verticale cet élan vite retombé dans les démarches sur le pavé gris où les gestes de protestation de prostitution ne remplacent rien La caresse agace Une initiation nous a manqué Voilà L'initiation Mais Mais ne nous sommes-nous pas nous-mêmes initiés Initiés pour trop tard Les voies ont divergé pauvres parallèles Les voix détonnantes L'initiation c'était avant c'était avant C'est drôle C'est drôle Qu'est-ce qui est drôle J'ai rêvé de Kiki cette nuit Ah oui J'entendais des chats qui rêvaient qu'ils se battaient entre eux Une époque bizarre L'un d'eux c'était Kiki II flanquait une raclée monumentale à d'autres chats II en tuait un Oui oui il en tuait un II le tuait d'un coup sur la nuque Un coup de dent Un coup de pelle peut-être Un coup de tête Un coup de flamme Mais il était blessé Je le tenais sur mes genoux en t'attendant Tu devais lui faire une piqûre Moi Oui toi Incroyable Oui je l'avais enveloppé dans une serviette en attendant que tu prépares la piqûre Je l'avais entièrement recouvert d'une serviette Une serviette blanche II était comme mort Mais d'un coup de patte il a soulevé la couverture Je la lui remettais sur la tête II fallait qu'il reste couvert il la soulevait de nouveau d'un geste de sa patte comme il faisait des fois tu vois II la soulevait Tu n'arrivais pas Finalement mon rêve Tu n'écoutes pas Il y a un temps pour tout C'est trop tard Etait-ce un rêve Alors pourquoi pourquoi est-ce toi qui rêve Horreur Je n'ai pas rêvé Tu parles et ce que tu dis est aussi vrai que la vie De nouveau la menace de l'aube En finir Non
La menace de l'aubeOleg Ibrahimoff La vie et la mort sur une petite place Revue Métamorphoses 1973 (tous droits réservés)
(Photo 1, Versus. Photos 2 et 3, édition originale du roman de Oleg Ibrahimoff paru à l'origine en trois livraisons dans la revue Métamorphoses sous le pseudonyme de Jean Louis Dino. Puis en intégralité dans le numéro "spécial" 26 de cette même revue avec la reproduction de gravures au burin de Paul Jeener en décembre 1973 ( photo 4) à la même époque que l'édition publiée ci-dessus, illustrée recto-verso couleur or, du chat Kiki. Collection Versus)