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jeudi 17 janvier 2013
Courrier d'avant
" P.-S. — Je relis cette lettre et ne puis m'empêcher de la trouver très bête. Le génie épistolaire c'est de faire de fausses lettres où tout le monde croit se retrouver et être seul. Ce génie-là ne me visite pas. Il n'est guère de mes élucubrations dont je ne sois prêt (pour peu que le soleil qui frappait mon bougeoir de fer vienne jouer dans la boule de gui ramenée du bois, ou à se cacher) à soutenir avec autant de raison le verso.
Est-ce scepticisme ? Je serais plutôt fanatique, mais pas dans le domaine des raisons. Parain et Blanchot disent également que les idées et leur expression ont perdu toute force, si jamais elles en eurent. II n'y avait même pas besoin de la guerre et de la propagande, la publicité y eût suffi. Le commerce concurrentiel vide le langage de toute aptitude à la vérité. Et comme maintenant les firmes, les États, les Églises, les Écoles d'art, se servent non seulement d'arguments mais de magies et visent le réflexe autant que le choix, nous sommes réduits à une langue dont non seulement les intentions claires mais même les charmes efficaces doivent être bannis.
D'où ma crainte des prières d'insérer. J'aimerais même qu'un livre ne porte plus de sous-titre de genre (roman, poème...), mais soit comme un arbuste non étiqueté le long d'un chemin, à prendre tel quel ou à laisser, à regarder vite ou longuement, à dépasser vingt fois sans attention puis à soudain aimer."
La Nouvelle Revue Française, n° 85, janvier 1960
Jean Grosjean Une voix, un regard
Textes retrouvés 1947-2004
Edition de Jacques Réda
Préface de J.M.G. Le Clézio
NRF Gallimard 2012.
Enveloppe originale de Jean Marie Staive 1980.
Photos Versus 2013.
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J'aime beaucoup la première image.
RépondreSupprimerPériode des enveloppes peintes de Jean Marie Staive...
SupprimerIl ne jetait rien du contenant des courriers reçus!
Le courrier d'avant, merveilleux, mais la grâce du jour !
RépondreSupprimerô merci pour le talent et le geste, que votre joie demeure Jean-Marie ...
Très chic la photo-poubelle, oui poubelle que bien des plastiques ! :)
Je vous rêve-errance une cascade de bons voeux.
Il s'agit du reste des restes , cette photographie...
Supprimer"Arbuste non étiqueté" comme l'écrit superbement Jean Grosjean dans son livre :" Une voix, un regard Textes retrouvés 1947-2004" dont je recommande chaudement à tous(c'est de saison!)la lecture.
La poésie y est présente et prégnante, ce qui va sans doute vous plaire, Véronica B!
( La merlette et les rouges-gorges viennent tout près de ma fenêtre sur la terrasse chercher chaleur et nourriture...)
Et lorsqu'il y a trop de poubelles, les places tiquent!..
SupprimerJ.Pierre
avis,ne pas mettre cette belle lettre à la poubelle...
RépondreSupprimerSûrement pas, on peut y écrire au verso!
SupprimerA propos de poubelle,Elfi, me revient à l'esprit le souvenir d'un délicieux recueil de textes en super prose comme le disait l'auteur Jean L'Anselme lui-même, "Les Poubelles" paru chez Rougerie en 1977.
SupprimerVoici un extrait:
" LAISSES POUR COMPTE
Nous sommes arrivés à une ère nouvelle. Personne ne craint plus personne, chacun sent le côté éphémère d'une puissance, d'un pouvoir ou d'un privilège. Voyez la précarité des chefs d'états, des patrons petits et grands formats et d'un simple professeur sur son estrade. S'imposer par la dureté c'est s'aliéner tout un monde de qui dépend maintenant notre réussite. Grimper c'est être poussé par la base et non plus être aspiré par le sommet. Les Egyptiens étaient le seul peuple de l'antiquité qui faisait bander ses morts. Il vaut mieux être borgne chez les aveugles que cul-de-jatte chez les manchots. Quand les gens sont tout à leur joie leurs chiens les embarrassent. Dans la vie courante, ils les remarquent à peine. Ils ne s'aperçoivent vraiment d'eux que lorsque ça va mal. L'attrait de la dinde aux marrons n'a rien à voir avec l'intrait de marron d'Inde. Numéro surprise au Festival de la Magie : le Fakir — champion du monde de la résistance à la douleur — est blessé sur scène par une fléchette qu'un spectateur lui avait lancée trop vigoureusement. Le suicide de la Callas — Le faux suicide de la Callas. Madame Armand Lanoux mordue par un singe à Doué-la-Fontaine. Si je n'ai pas fait trop de chagrin et si j'ai beaucoup amusé, j'aurai
accompli ma tâche... Enrico Macias blessé au cœur. Dalida hurlait : « Mon frère brûle ! ». Etre traité comme un café-express que l'on expédie en regardant l'heure est pénible. On a beau se dire que ce café doit avoir son importance pour qu'on y tienne tant malgré tout. A l'issue de leur congrès à Lourdes où ils procédèrent à quelques échanges de vues, les aveugles se séparèrent, non sans avoir entonné une dernière fois le traditionnel chant des adieux : « Ce n'est qu'un au revoir... ». Mon cher ami, vous apprendrez plus tard le plaisir rare et délicieux qu'il y a pour un poète à décevoir les autres."
Jean Lanselme est décédé l'année dernère.
la belle dépliée
RépondreSupprimerEt nullement dépitée!
SupprimerUne enveloppe m'est toujours apparue importante, la vôtre est fort belle, loquace mais pudique. L'absence "d'étiquette" m'a toujours ravie, une telle incitation à la découverte, sans préjugés :-)
RépondreSupprimerL'enveloppe, c'est un contenant et un contenu tout à la fois. Un habit qui fait le moine!Il faut que tout cela "colle", comme une réponse du berger à la bergère!
SupprimerBon week-end Frederique!
Je crois vraiment à la force de vérité de la langue. Il faut s'y efforcer ou ne pas écrire. Cette page, cette enveloppe tout ce dit des mots c'est émouvant.
RépondreSupprimerIl existe aussi des signes assis sans signature.
SupprimerEt alors, il nous faut aussi trouver leur force de vérité!
l’épistolaire haut...
RépondreSupprimerCouleurs sur la langue et pour elle.
Les mots attrapent-ils la jaunisse?
SupprimerEt bien comme il s'agit de temps et de mots, au plastique préférons l'osier, à la poubelle la bannette
RépondreSupprimer... suite après arrêt intempestif : la bannette où ne finit jamais le papier des courriers, plié, taché, encré, aquarellé, stabiloté, froissé, manipulé
SupprimerCes papiers ont pris le temps, leur temps!
SupprimerPalimpsestes de strates, géologie intime du moi.
La lettre est peut-être bête
RépondreSupprimerje n'en doute pas
Mais comme ce travail d'encre
d'écriture d'aquarelle d'eau
est beau
Les débuts sont souvent dans la poussée irrépressible de l'expression, dans l'urgence du dire qui accroche et déchire. L'eau bue par l'aquarelle atténue les blessures avec le temps, elle les efface d'un trait de crayon aussi, comme ces adresses évanouies dans le cadran du motif définitif et peint.
Supprimer"la poussée irrépressible de l'expression"...ça me rappelle un cours d'histoire de l'art : " ...pas d'esthétique sans éthique à l'époque romantique..." joli texte : Jean Grosjean....
RépondreSupprimerEt l'ensemble du recueil est tout à l'avenant.
SupprimerBonne fin de week-end!