1942
10 février
" Passant en train devant la mer à la Pineta(1), une mer basse et nocturne, tu as vu les petits feux lointains et tu as pensé que cette scène, cette réalité à beau t'emplir de velléités « de dire », t'inquiéter comme un souvenir d'enfance, elle n'est pourtant pour toi ni un souvenir ni une constante de ton Imagination, et elle t'impressionne pour des raisons littéraires ou analogiques frivoles mais ne contient pas, comme une vigne ou l'une de tes collines, les empreintes de ta connaissance du monde.
Il en résulte que de très nombreux mondes naturels (mer, lande, forêt, montagne, etc.) ne t'appartiennent pas parce que tu ne les as pas vécus en temps voulu et que, si tu devais les exprimer poétiquement, tu ne saurais pas te mouvoir en eux avec cette secrète richesse de sous-entendus, de sens et de prétextes, qui donne sa valeur poétique à un monde. Tu dois dire la même chose pour la sphère des rapports humains, pour les êtres humains : seuls, ces situations et ces types qui, peu à peu, ont émergé de toi et qui se sont détachés sur le fond de ta connaissance initiale ont eu le temps (jusqu'à maintenant) de se graver dans ton esprit et de projeter ces innombrables et secrètes radicelles allusives qui donnent sang et vie aux créations. En somme, tu ne peux en le voulant t'intéresser poétiquement à un pays donné ou à un milieu donné et les faire vivre, qu'en les réduisant aux moules (insuffisants) de ton enfance/jeunesse. Tu ne peux donc échapper (du moins pour le moment) à un monde déjà implicite dans ta nature perceptive, de même que, dans la vie pratique, tu ne peux échapper à la détermination de ta nature volitive, détermination qui s'est produite en grande part durant ta première adaptation au monde.
Reste à voir si, dans les deux domaines, l'actif et le créateur, tu dois te limiter à fouiller et à comprendre toujours plus à fond la réalité qui t'est déjà donnée, ou s'il est profitable d'affronter continuellement des cho-
ses, des figures, des situations, des décisions qui te sont étrangères, amorphes, et de tirer de ce heurt et de cet effort un développement et un accroissement continuels de tes capacités. La question est tout entière de savoir si, une fois que la première connaissance s'est produite, on vit spirituellement de rentes ou si l'on ne peut pas accroître tous les jours son capital. Il semble évident que, si fatigant et terrible que ce soit, les deux voies peuvent se conjuguer, et qu'une expérience infantile élaborée dans la maturité sera un point de départ différent et nouveau."
1. Il pourrait s'agir de la pinède de Viareggio.
Cesare Pavese Le métier de vivre, Folio Gallimard, traduction de l' italien par Michel Arnaud.
L' ensemble des photos Versus.
ITALIE
Lac de Garde à Bardolino
Affiche sur le lac de Garde
Vignes à Gargagnago di Valpolicella
Pierre tombale à San Ambrogio di Valpolicella
Affiche de ville à Rovereto
Plage de San Mauro Mare
Elle s'en échappe Versus de son monde implicite et elle te regarde avec douceur...
RépondreSupprimerDe qui parlez-vous (chère, cher ?) anonyme?
SupprimerJe suppose de la femme qui tourne son regard vers l' objectif, comme une échappée de son monde de l' enfantement?
Quel bel arc-en-ciel!
RépondreSupprimerCertainement une certaine diffraction, distraction dans le "monde" de l' image exposée?
SupprimerMais quelle frêle felouque que la réalité!
RépondreSupprimerUn regard, une colonne qui à l'air de soutenir le monde, un rameau au vent des couleurs, deux têtes de mort certaines, des lettres en désordre et la lumière prise dans le prisme améthyste..
La question est de savoir si votre poétique description échappe à mon "monde implicite".
SupprimerJe ne le pense pas.
La réalité, c'est de rencontrer un lecteur de ce blog ( Bernard un ancien voisin ) au débotté et qui m' en parle!
Merci pour votre commentaire.
Tous ces mondes, qui se frôlent, c'est un monde !
RépondreSupprimerIls se touchent avec les yeux...
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