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samedi 9 août 2014

La peinture enveloppée dans des milliers de phrases





" La peinture a toujours été enveloppée dans des milliers de phrases, toujours réflexive, même si elles ne furent pas toujours critiques. Vous paraissez obnubilé par cette situation, pourtant banale aujourd'hui, qui met le commentaire de l'œuvre en partie à la charge de l'artiste. Vous portez trop d'attention à la distribution des rôles sociaux. Voulez-vous donc que le peintre peigne et que le critique critique, et que chacun reste à sa place, alors qu'il est clair que ces artistes comme beaucoup d'autres, par leur œuvre, interrogent ce qu'il en est de la place ? Êtes-vous de ceux qui jugent qu'un peintre n'a pas à philosopher, ni un philosophe à se mêler de faire une peinture, une exposition ? Et puis surtout, vous inversez les termes de la question. Vous croyez qu'en exposant le peu de réalité, ces peintres se détournent de la présence et la critiquent. Or la réalité n'est pas la présence, elle est la représentation. Et cela reste vrai de nos peintres, aussi « bavards  qu'ils vous paraissent. Les figures d'Altamira et de Lascaux, elles aussi, faisaient pour ainsi dire point d'appui, illustration pour le récit légendaire, qui est le premier commentaire, et station dans cette première visite que fut le pèlerinage dans le sanctuaire souterrain. Que le récitant ait été un autre que le peintre, nous n'en savons rien, et cela n'a aucune importance, sauf sociale, c'est-à-dire pragmatique. Entre dictum et pictum, le rapport n'avait guère changé dans les monastères catalans au milieu du xie siècle de notre ère. Le frère lecteur lit en chaire pendant le repas le commentaire de Beatus à l' Apocalypse. Sur le folio qu'il vient de tourner et qui pend au dessus des tables où les moines font collation, la figure de la Bête illustre sa parole et la suspend, la creuse.



Les figures sont évidemment sorties des narrations comme autant de tableaux vivants, de moments immobilisés, rendus forts par cet arrêt, ou faibles, comme vous voudrez, surchargés de sens possibles, ou déchargés de sens actuels, du seul fait qu'ils interrompent le fil du récit et qu'ils permettent par leur suspens beaucoup d'autres enchaînements, c'est-à-dire d'autres commentaires, que le cours de l'histoire, légendaire ou non, ne peut que négliger pour obéir à sa finalité propre. Ces scènes muettes, arrêtées, s'avèrent prolixes, bourrées d' équivocité, et vides, et elles appellent déjà La réflexion, réclament que les esprits s'émancipent de la tournure que veut le récit, qui est la destination. A l'encontre ou à l'écart de celle-ci, elles tracent des voies sans destin, et ainsi elles ne tracent rien. Par destination, j'entends la disposition du temps qui le fait rimer avec lui-même."

Jean-François Lyotard QUE PEINDRE?
Adami Arakawa Buren édition La Différence 1987




L' ensemble des photographies Versus ©
 



4 commentaires:

  1. Pourquoi donc une autoroute en bleu?
    Une rivière pour atteindre la mer?

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    Réponses
    1. Voyez cette photographie déjà enveloppée de phrases!
      Bien à vous.

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