" La comparaison de la marche et de la pensée s'appuie sur la notion de paysage : la philosophie habite les problèmes, comme le marcheur habite les paysages, surtout quand il effectue de très longues marches en montagne ou en plaine, de grandes excursions, des randonnées - autre chose en tout cas qu'une simple promenade : les maisons, il les traverse, mais c'est dans le paysage qu'il demeure. Voilà toute l'expérience du marcheur : en franchissant le seuil, il ne sort pas vraiment de chez lui ; plutôt il va de gîte en gîte, toujours provisoires, gîtes d'un seul soir. Et quand il sort le matin pour marcher, il sort dans ce complexe de vallons, dans ce cirque, dans cette montagne, cette combinaison de collines.
Le corps habite alors le paysage, qui devient sa véritable demeure, une présence familière et continue, sans pour autant qu'il y ait fusion. C'est une façon d'être au milieu des choses, avec l'idée que ce « milieu » n'est pas une extériorité étrangère. Au-delà, il y a l'idée que des paysages vous ressemblent. Mais ce n'est pas un simple jeu entre l'âme et l'espace, comme si un état intérieur se projetait dans certaines formes, certains dessins, certaines couleurs. C'est plutôt une rencontre qu'une correspondance. Il s'agit pour chacun de trouver son paysage. Cette découverte se trahit par une vibration soudaine et harmonique entre le corps et le paysage, par une évidence pour le marcheur : c'est bien moi - moi, ce corps vivant -, c'est bien moi ce paysage."
Frédéric Gros, Petite Bibliothèque du marcheur, Paris 2011.
Texte extrait de Écrivains randonneurs présentation par Antoine de Baecque Omnibus éditeur 2013.
L'ensemble des photographies, Versus.
1,2,3, lors de marches nordiques récentes dans le Quercy.
4, La Baule.
Et le prochain départ pour habiter " en paysage ", c'est pour quand?
RépondreSupprimerJ.F.G.
Dès que possible...et le plus souvent possible!
SupprimerJe suis chez moi dans toutes les îles.
RépondreSupprimerProtection, territoire fermé?
SupprimerVotre cabane à la Henri D. Thoreau?
Ho c'est chouette, vous faites de la marche nordique !
RépondreSupprimerTout à fait. C' est aussi votre cas?
SupprimerJe viens d' en terminer une ( de 14 à 17 heures ) dans les environs de Maxou, temps magnifique, sacrées montées et avec une herbe gelée par endroits qui vous craque agréablement sous les chaussures. Et je ne vous parle pas des paysages ni de notre allure qui dépassait parfois les 10 km/heure!
Bien à vous Capucine!
Je marche peu, mais j'ai fait de la course de fond assez longtemps ( grâce à un poul à 50 les 3/4 du temps!...).ça aide! par contre, il m'est arrivé deux ou trois fois de ressentir cette présence familière au milieu des arbres, l'harmonie me vient par l'odorat ....certaines fragrances provoquent une vibration soudaine et harmonique entre le corps et le paysage( la mousse, et aussi les feuilles en décomposition ???, ou l'odeur de la terre chaude mouillée après l'orage... )
RépondreSupprimerC'est vrai, il y a le familier mais aussi l' hostile, l’événement imprévu à affronter, la glissade sur les pierres givrées, les descentes sur un lit instable de cailloux et les espaces boueux sur lesquels les talons dérapent...Les bâtons sont dans ces moments là indispensables.
SupprimerSalut.
RépondreSupprimerRelire le délicieux Jacques Lacarrière !
http://www.ecrivains-voyageurs.net/lectures/lectures22.htm
Ta marche nordique avec ou sans neige me fait très envie.
Lire l' anthologie de de Baecque, ainsi ce texte d' Alfred Jarry, d' une région qui n' est plus la même...:
Supprimer" La route était nationale et singulière. Le touriste qui voudra l'examiner sortira de Paris à son gré par la porte d'Italie, ou préférablement, afin de troquer le pavé contre la longue mais assez bénigne montée d'Arcueil, par la porte de Gentilly - Ville-juif - Trottoir cyclable : la Belle-Epine, la Vieille-Poste, Paray, la Cour-de-France. Descente sur bas-côtés, Juvisy à gauche. Il laissera à droite M. Legay, lequel exerce la profession juste, et subtile et sœur de la mort, de marchand de sable. Montée pavée, et qui ne le sera plus, de Ris - Grande route admirable de huit mille mètres, jusqu'à Essonnes. Au coucher du soleil, des chevêches y ricanent sur les bornes kilométriques, dédaignant les hectométriques trop basses, et de grands lièvres vous « chauvent » des oreilles en dégustant les graines dont se farcissent les crottins de cheval. A gauche, interminable Grand Mur d'Evry : quinze cents mètres. Descente sur une route de goudron funèbre. Montée pavée ou détour dans Corbeil vers une autre côte de sable égal. Le Pressoir-Prompt. La Demi-Lune. Le Plessis Chenet... et soudain, sur cette route qui est la nationale joignant Seine-et-Oise et Seine-et-Marne, l'inscription, qui date du Premier Empire, et qui signale que cette route mène où mènent toutes les routes en général mais d'une façon fantastiquement particulière : « Route de Rome ».
Il est plausible que le héros de notre roman l'avait choisie pour son attaque de grand chemin afin que l'Aventure eût lieu véritablement dans l'absolu et parce que c'était véritablement, en soi, la route."
Alfred Jarry, « La marche », La Dragonne, 1903.
;)
Le rythme alors habite le corps comme celui-ci habite le paysage, et y reprend son souffle.
RépondreSupprimer" Reprendre son souffle " exacte expression pour cet instant d' après une ascension, de courte ou de longue distance, abrupte ou en pente douce. La respiration devient plus ample et nous ouvre à l'avenir du parcours qui reste à faire...
Supprimer( Hier après-midi, 8 km et des poussières, temps ensoleillé.)
Bon dimanche!
"Le corps habite alors le paysage, qui devient sa véritable demeure"
RépondreSupprimermerci beaucoup très belle note avec laquelle je me sens en harmonie.
Il y respire ( le corps ) l'air vif du dehors, une autre lumière...
Supprimerle corps habite le paysage : oui, c'est exactement cela, une fusion qui agite toutes les sensations, en premier lieu celle d'être au monde, tout en activant les replis de la mémoire...
RépondreSupprimerMais le corps n'est pas la paysage, n'est-ce-pas?
Supprimer[...] " la marche nous rappelle sans cesse notre finitude : corps lourd de besoins frustes, cloué au sol définitif. Marcher, ce n'est pas s'élever, ce n'est pas tromper la pesanteur, ce n'est pas s'illusionner, par la vitesse ou l'élévation, sur sa condition mortelle, mais plutôt l'effectuer par cette exposition à la solidité du sol, à la fragilité du corps, à ce mouvement lent d'enfoncement. Marcher, c'est exactement se résigner à être ce corps qui marche, incliné. Mais l'étonnant est que cette résignation lente, cette immense lassitude nous donnent la joie d'être. De n'être que cela certes, mais absolument accordé. Notre corps de plomb à chaque pas retombe sur la terre, comme pour y reprendre racine. La marche est une invitation à mourir debout."
Frédéric Gros, Marcher, une philosophie, Champs/essais Flammarion 2011.
Ce texte est très beau et rappelle à lui plein de souvenirs et pourtant... dans ce paysage familier que l'on sillonne de marches régulières, il y a un effacement parfois du paysage. Le marcheur habite dans le paysage et dans ses pensées. Le corps aussi s'efface au bout d'un certain temps se faisant porteur de tête pensante. Puis l'insolite halte pour écrire ou pour dessiner, pour rêvasser aussi ou céder à la rencontre imprévue et amicale.
RépondreSupprimerQuant aux marches de découverte dans un paysage inconnu, tout y est apprentissage...
C'est très vrai ce que vous énoncez là, Christiane...
Supprimer" Quand on marche, s'arrêter, c'est comme un accomplissement naturel : on s'arrête pour accueillir une nouvelle perspective, pour respirer le paysage. Et puis on repart, cela ne fait pas rupture. Il y a comme une continuité entre la marche et le repos, parce qu'il ne s' agit pas de transgresser la gravité, mais de l' accomplir. "
Frédéric Gros, opus cité supra page 249.
post scriptum : j'aime bien la clarté de votre nouvel habillage
RépondreSupprimerMerci!
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