Original de J.M. Staive 2011. |
» La première page était bleue. Je mangeais ma soupe avec des pâtes et ces pâtes avaient formes de lettres. Au bout de la maison, ma chambre. Le soir, une lampe allumée. La table était poussée dans l’alcôve puisque je dormais dans la chambre de ma mère. Je vois — c’est l’effet du temps écoulé, le regard intérieur d’aujourd’hui approche par le dos, jusqu’à presque se fondre en lui, le petit corps assis d’autrefois, drapé dans sa petite robe de chambre —je vois ma position devant l’assiette, celle-ci placée un peu à gauche. Mangeant très lentement, j’essayais de former des mots, n’y arrivais pas : je péchais les lettres dans la soupe, du bout de la cuiller les poussais et alignais sur le bord de l’assiette. Faïence bleue à large bord, me restent encore quelques plates. La servante, partie chercher la suite du dîner, en revenant promettait de terminer le mot si j’avalais deux trois cuillerées. Je lisais alors les pâtes en souriant. Rien que des majuscules mais douces. Je venais de commencer à apprendre à lire avec ma mère, dans ce premier livre (« la lecture sans larmes ») les personnages s’appelaient toto lili rené, ils avaient de grosses têtes rondes avec une frange, je les trouvais antipathiques. Comme je n’étais pas très appliqué, me fâchais de ne rien y comprendre et voulais toujours fuir au jardin — ma mère s’en plaignit à mon père — quand je prenais plus sagement ma leçon, elle me délivrait un bon point. S’agissait de petits cartons orange, cernés d’un fin liseré de feuilles noires et marqués au milieu « Bon point ». Sur une planche où ils se tenaient tous ma mère en détachait juste un, deux coups du bec de ses ciseaux à couture. À quoi les bons points rassemblés ouvraient-ils droit ? Je crois me souvenir que le marché offert ne paraissait point si alléchant, heureusement que ma mère sut me convaincre. J’ignorais de façon absolue qu’ils me seraient inusables billets passeport monnaie vers des paysages, des rencontres ou des aventures, qu’ils s’échangeraient ma vie durant contre ce long voyage dans la langue, caravanes de mots, train des phrases. »
A la découverte de l' univers de l' écrivain et photographe Jean-Loup Trassard, ICI
Seulement hier j'ai pu visiter avec du temps votre blog.
RépondreSupprimerJ’ai été ravi de connaître vos belles images, enrichissant vos excellents textes, toujours culturels sur les livres lu ou a lire,,en spécial j'ai aimé le texte "Etre peintre et ne plus rien faire du tout..."
Toutes mes félicitations pour votre magnifique blog!
Je suis un écrivain brésilien de Rio de Janeiro qui a écrit LA BÊTE DES MILLE ANS sur la Tapisserie médiévale de l’Apocalypse, logé au Château d'Angers au Pays du Loire.
Je serais très content de vous recevoir dans mon blog: www.abestados1000anos.com.br, car il y a beaucoup de pages et textes explicatifs en français sur mon livre.
Je vous remercie de pouvoir conter avec votre visite, qui me fera beaucoup de plaisir.
Merci d’avance pour votre intérêt et curiosité
Je vais aller vous voir, A Besta dos 1000 Anos.
RépondreSupprimerVous avez bien compris que les textes mis en ligne, le sont avec conviction de ma part. Il indiquent, en laissant toujours la porte ouverte à la discussion, une part non négligeable de mes propres opinions. Et comme tout être humain, je demande l' acceptation du fait de me contredire!
Merci de votre visite
oh la... l'horrible bouillon fumeux et trop chaud et ces affreuses lettres molles qui coulaient à pic... impossible de les attraper... elles se faufilaient dans les coins ronds de l'assiette à soupe... il fallait tout finir... les lettres se congratulaient dans les bajoues... allez avale... à cheval sur le gosier...elles en mettaient du temps à descendre et dans un sursaut hoquetteux et protecteur l'infâme bouillie s'épandait sur la nappe cirée blanche.
RépondreSupprimer@laurence
RépondreSupprimerJe vois que nous sommes nombreux à avoir connu cet alphabet comestible...et avec plus ou moins de bonheur!
Plus attractives furent les gaufrettes estampées de messages les plus inattendus, comme celles-là..
http://www.comptoirdesflandres.com/content/catalog/categories/375x145/illus_gaufframus.jpg
Bon week-end!
Je me rappelle que j'écrivais des "gros mots" avec les lettres et je faisais des fautes d'orthographe disait ma mère…
RépondreSupprimerAh! la "tyrannie" de l'enfance… l'enfance n'est-elle pas un tyran pour l'adulte qui y prête par trop attention?
J'ai toujours détesté la soupe!même au homard!...mais Monsieur Trassard nous donne à capturer ses images, et, au fond, la mémoire, sorte d’étang obscur, s’agite, laisse affleurer d’autres images qui, une à une, se détachent du passé, traversent l’opaque, doucement surgissent, aujourd’hui s’imposent à la rêverie ! ( j'ai eu droit aussi à l'alphabet!).
RépondreSupprimer@TG
RépondreSupprimerL' enfance tyran pour l' adulte...Je ne suis pas loin de penser comme vous..
@Gwendoline
RépondreSupprimerBelle métaphore, vraiment...ces lettres venant à la surface une fois gonflées des sucs du bouillon nourrissant et enrichissant.
Il ne nous reste qu' à les ingurgiter!
Je me souviens de la préparation des gnocchi..on attendait avec concentration leur montée à la surface de l' eau bouillante dans la casserole pour les récupérer avec minutie à l' aide de l' écumoire. Précieux souvenirs de la mémoire et de la technique du geste à la fois!
C'est étrange ce que je ressens à lire, et ce texte et vos commentaires... bien sûr j'ai connu les potages aux lettres, les gaufrettes à message mais je sens que dans ces années d'enfance je ressentais cela comme un leurre. Les lettres ne se mangeaient pas. Elles étaient d'encre, nobles, distantes. Empreintes d'encre sur les livres et pas dans les cahiers à grosses lignes. Elles étaient un mystère, ouvraient à la lecture et le chemin entre l'épellation et la lecture était dangereux. On pouvait se perdre dans les lettres,comme dans une jungle, se faire dévorer par le non-sens de ces signes, les assembler en syllabes et rester au-dehors, loin des fronts pensifs éclairés par des livres.
RépondreSupprimerIl y a illumination, échappée, liberté infinie le jour où le livre ne résiste plus, où on entre en royauté dans la lecture. Mais comment ? quand ? on ne sait pas... ça se fait malgré nous et c'est tellement enivrant.
Mais cette première page de faïence bleue de J-L.T a un charme infini... et, dans l'original de JM.S, ces petits "gribouillages" entre les lettres comme une mémoire d'une écriture avant l'écriture.
@christiane
RépondreSupprimerJ' aime votre réflexion sur les mots, cette structure de l' écriture. Les mots se forment, s' assemblent, s' harmonisent mais aussi s' appauvrissent, se désaccordent et finissent par se déliter comme un corps devant la mort et cela de façon irréversible.
Autour de nous, les mots, la mort et les mots encore et toujours pour le dire.
Les mots nous vivifient.
Vous m'avez fait découvrir l'écriture de J-L Trassard, tout emplie de terre, d'herbes, d'odeurs de bêtes et de pluie.Je me suis promenée dans les écritures de son blog. Si vous saviez le bonheur que j'ai ressenti...
RépondreSupprimerMerci de vos choix. Ils font du bien aux yeux, donc au coeur.
Les corps se délitent dans la mort. Oui. et c'est le scandale quand nous pensons à ceux que nous avons aimés et qui ne sont plus là, enfin, pas sous la même forme. Mais de cette mort, de cette douleur qu'elle plante en nous naissent l'écriture et toute forme de traces artistiques. Les mots s'effacent sur les stèles, sur le sable, dans les mémoires.
Il reste l'amitié dans le "parler-ensemble", désintéressée, généreuse, claire pour les vivifier.
christiane, je dis les mots, je dis la mort hier d' un tout tout proche aussi...
RépondreSupprimerDisjecta membra, vie en moignon, coupée, finie, mais du bourgeon renait l' arbre, feuilles du livre, arbre de vie.
Ceux qui savent me comprendront.
Alors, vous écrivez le passage... et c'est comme un grand silence de germination. des mots épars comme des graines...
RépondreSupprimerVersus elle est très belle cette toile de "nécessité intérieure"...
RépondreSupprimerMagnifique voyage à travers l'imaginaire d'un enfant.
RépondreSupprimerVotre assiette garnie est très belle elle aussi et donne envie de jouer à l'enfant.
Ces "caravanes de mots", "trains de phrases" m'ont enchantée avec vos couleurs dispersées, enlevées en alphabet.
RépondreSupprimerLa première soupe, avec ces lettres de blé fondantes, qui ne s'en souvient ?
Reconstituer, dans un bouillon, l'ordre des idées.
Créer, au fond d'un pot, l'âge des mots qui coulent ... comme le chiffre sous nos vers Duralex, déjà vers de voyages intérieurs ...
MERCI POUR CE MOMENT, en majuscules douces ...
oui, christiane, le passage et sa syntaxe, propre à chacun d' entre nous.
RépondreSupprimer@laurence
RépondreSupprimerMerci!
@Saravati
Jouer à l' enfant, stricto sensu, peut-être ...mais retrouver l' esprit d' enfance, se mettre à sa place en un fondu enchaîné comme le décrit Jean-Loup Trassard, absolument!
@Veronica
RépondreSupprimerJ' aime ce que vous écrivez, nous sommes en accord en cette pensée.
Versus, je suis contrite, je ne viens pas assez par chez vous (à cause de l'horrible "blogger" qui me cause bien des soucis) alors que j'adore vos travaux et Jean-Louis Trassard aussi. Je vais faire un billet en écho au votre un de ces jours
RépondreSupprimerThaddée, pas de problème, pas de nécessité à être toujours au commentaire. Nous sommes libre d' aller et venir selon notre bon plaisir!
RépondreSupprimerEt votre passage est un plaisir.
Merci,
A bientôt!
Je pose très volontiers ici le commentaire de orfeenix, transmis par mail:
RépondreSupprimer"Non seulement je pense aussi que les mots n' ont pas de limite pour exprimer une réalité aussi fuyante soit elle , mais en plus je crois même qu' ils sont nécessaires car ils sont sa mémoire, que serait la dérive si elle ne prenait pas forme dans le mot qui l' exprime? Quelles expériences insensées auraient du prix sans être racontées? Je crois avec ferveur que Rimbaud a vécu cette dérive du bateau ivre lors d' une illumination et heureusement qu' il savait raconter! "
Bonjour Versus, j'ai eu l'impression d'un grand bond en arrière...j'avai oublié ce fameux potage au lettres...et pourtant je l'adorai, je mangeais plus volontiers certaines lettres et délaissais les autres....je repense avec nostalgie à ce temps où je pensai que tout était facile...à bientot Versus...
RépondreSupprimer@***Isabelle***
RépondreSupprimerOui, l' enfance heureuse, l' insouciance. Nous n' avions pas encore la barrière des mots des autres à apprivoiser!
@orfeenix
RépondreSupprimerEt vous avez raison. Une fois passé l' obstacle, la barrière, quelle richesse les mots!
Ils peuvent être notre canot de sauvetage, notre eldorado aussi.
J'y songerais dorénavant en laissant les mots imaginaires errés entre deux cuillères à soupe de la petite. Belle narration.
RépondreSupprimerRavi de vous rencontrer ici Laure K!
RépondreSupprimerA vous la "poseuse" d' images je ne peux que conseiller l' univers photographique de Jean-Loup Trassard.
En couleur et en noir et blanc, l' œil avisé et prospectif du critique Bernard Lamarche Vadel, nous confirme encore et toujours, la grande personnalité de ses photographies!
Bien à vous.
Le potage était bleu et salé (forcément je rêvais déjà). Consonnes et voyelles étaient triées, du bout de la cuillère. Je préférais les voyelles, bien qu'elles ne prenaient (?) tout leur sens qu'adossées aux consonnes. Ainsi s'est construite bien des années plus tard une correspondance, sur papier, pas virtuelle, avec pleins et déliés, une correspondance de 20 ans, vous imaginez ? Je dois beaucoup au potage, dégusté sous la lampe.
RépondreSupprimer@frederiquekamili
RépondreSupprimerLes voyelles, les voiles qui font avancer les mots...sans oublier la coque consonne du navire langage!
Vous êtes de toute évidence un beau marin à la découverte du monde!