"Les rois ne touchent pas aux portes.
Ils ne connaissent pas ce bonheur : pousser devant soi
avec douceur ou rudesse l'un de ces grands panneaux familiers,
se retourner vers lui pour le remettre en place,
- tenir dans ses bras une porte —
Le bonheur d'empoigner au ventre par son nœud de porcelaine
l'un de ces hauts obstacles d'une pièce,
ce corps à corps rapide par lequel un instant la marche retenue,
l'œil s'ouvre et le corps tout entier s'accommode à son nouvel
appartement.
D'une main amicale il la retient,
avant de pousser décidément et s'enclore
- ce dont ce déclic du ressort puissant mais bien agréablement
huilé l'assure. "
Francis Ponge, Le Parti pris des choses, 1942
A écouter
Pierre Henry Variations pour une porte et un soupir 1963
La porte ! Combien de fois ne l'avons-nous pas dit ou entendu et combien de fois la passons-nous par jour ? Savons-nous vraiment ce qu'est une porte et jusqu'où elle nous mène ? Tout le monde s'accordera pour reconnaître que dans sa définition même elle implique l'existence d'un "dehors" et d'un "dedans", du bien-être et du danger, et que toute porte utilisée déclenche une philosophie du monde.
Depuis les Magdaléniens nous n'avons cessé de la réinventer et de l'utiliser pour des causes différentes au point que l'on peut se demander quelle folie nous a pris pour rendre cette barrière à la fois si simple et si complexe. Les portes c'est aussi l'incroyable étiquette de la Cour, les octrois, les frontières, tout ce qui nous empêche et nous régule, sans compter les hommes qui les tiennent : Suisses, portiers, concierges, domestiques, mais aussi le décorum, les pompes mortuaires et les terribles portes de prison. Aujourd'hui fini les gonds, et à nos portes rivalisent désormais codes et cambrioles.
Par leur essence même, les portes expriment les cultures : en Afrique les Jnouns font concurrence à Eshou et les serrures dogons reflètent encore l'âme de leurs maîtres, la Chine oriente toujours ses portes en s'occupant du Ciel alors que le Japon les construit en papier. En Océanie ce sont les tabous qui les gardent pendant qu'en Amérique au-delà des malocas, des tipis et des iglous, elles sont devenues héroïnes de feuilletons télévisés.
Dans cet ouvrage savant où le terrain et l'humour le disputent au livresque, où l'auteur fait, avec brio, part égale à l'écriture, à l'histoire et à l'ethnologie, les portes, les passages et les seuils apparaissent autant incontournables qu'inexorables dans notre vie de tous les jours.( Présentation de l'éditeur.)
Ethnologie de la porte des passages et des seuils Métailié éditeur
Pascal dibie est professeur d'ethnologie à l'Université Paris Diderot-Sorbonne Paris Cité (Laboratoire urmis). On lui doit entre autres l'Ethnologie de la chambre à coucher et Le Village métamorphosé.A lire!
Photos Versus 2012.
une parole douce peut ouvrir une porte en fer...(prov. bulgare) bonnes fêtes..
RépondreSupprimerComme" sésame,ouvre-toi"?
SupprimerA la porte ... depuis je les supprimais toutes ... seule celle de mon secret était fermée à tout jamais...
RépondreSupprimerEst-ce une porte de prison,alors?
SupprimerUn intéressant article superbement illustré : merci!
RépondreSupprimer@Anne,
SupprimerMerci de votre visite!
J'avais entendu parler du livre de Dibie,(chez métailié)mais je me réjouis du passage de Ponge. A lire quand même, un de ces jours;
RépondreSupprimerLe texte de Francis Ponge, keisha, je l'ai "trouvé" dans l'essais de Pascal Dibie!
SupprimerIl ponctue en effet chacun de ses chapitres par un texte concernant la porte.Une pléiade d'auteurs y passent..
Et à propos de Pléiade, celle de gallimard, j'ai pu constater que Ponge a intitulé son texte:" Les plaisirs de la porte", qui s'est transformé en " Les portes s'affirment" chez Dibie.
Autres temps autres moeurs?
Bien à vous!
Durant ma brillante scolarité, je l'ai beaucoup prise… (la porte)
RépondreSupprimerChacun la porte, sa croix…
Mais cela ne vous a pas empêché de franchir les portes de la notoriété..
SupprimerEn matière d'art, chacun peut voir midi à sa porte surtout s'il demeure aux portes du midi, comme c'est mon cas!
SupprimerOn dit aussi midi moins le quart, mais "aux portes du midi", ça porte mieux.
Passionnant votre billet. Au moins vous n'enfoncez pas des portes ouvertes!
RépondreSupprimerAucun porte-à-porte non plus...
Supprimer(Pour mieux se faire connaître.)
Je vous renvoie au billet de Marty http://khannaworld.blogspot.fr/2012/11/crossroads.html
RépondreSupprimerque je partage
Pourquoi les heurtoirs sont-ils souvent des "mains" ?
Un blog (avec le vôtre, Frederique!) qui traite de la photo et que j'aime beaucoup, celui de Marty!
SupprimerLe heurtoir? Il en existe une foultitude dans ma ville.( l'origine même des photos de ce billet)
Peut-être qu'il nous faut serrer la main de l'autre pour prévenir qu'on est là?
...Je suis encore sous le charme de votre dernier billet...
Belle fin de week-end.
Et comme il est question de heurtoir, j'ai retrouvé ce magnifique poème de jean Joubert relatif à une oeuvre de Paolo Ucello :
RépondreSupprimer" QUI FRAPPE ?
Qui frappe encore ? Qui souffle à la serrure ?
Qui me veut quoi, quel invisible obscur :
mourant ou meurtrier ou voyageur
tremblant sur des chemins de nuit ?
Et que me dit cette âpre odeur de bête
et de tombeau ? Vaste est la porte
où le poing nu s'acharne : épais vantail,
aveugle partition. Le bois ne sue dehors
qu'un noir silence. Enfin s'éloigne dans
le vent ce pas qui ne reviendra plus.
La chambre est rouge où je l'écoute encore,
la main levée, un doigt contre la tempe.
Rien n'a bougé, ni le corps ni le cœur,
le geste est suspendu comme l'oiseau
sur cette toile, au mur, surpris
en son plein vol par le trait du chasseur
et qui jour après jour ne finit de tomber.
Je vis, je meurs, il est trop tôt, trop tard,
il fait plus froid devant ce faux brasier
où l'ombre s'accroupit. Attente creuse !
Ah, rebrousser chemin, recommencer
pour que s'ouvre la porte enfin sur le visage
de l'inconnu : l'étoile ou le couteau."
(Uccello.)
Jean Joubert Anthologie personnelle Poésie Actes Sud 1997.
http://commons.wikimedia.org/wiki/File:Uccelo_host_burning.jpg
Joli poème ! Les portes m'importent! doit-on la fermer ou la laisser ouverte!je les aime en bois avec les traces du temps qui passe...
RépondreSupprimerSur votre blog de magnifiques portes à une certaine époque Gwendoline, je m'en souviens...
SupprimerOuverte ou fermée,la porte?
Peut-être entrebailléee, comme la fente de lumière du matin qui nous ouvre au jour!
Il y a quelque chose qui la rapproche du livre qui s'ouvre et qui se ferme à la volonté de l' humain.
J' ai trouvé un autre poème de Jean Joubert qui parle de ce mystère...
LA VISITEUSE
Celle qui vint par le défaut du jour,
la faille noire,
la porte incontestée,
baisse les yeux,
pose avec soin le Livre
puis s'inclinant s'efface dans la nuit.
Tu vois alors comme le Livre s'ouvre
où brûle un mot
flagrant et inconnu.
Il t'éblouit, éclaire ton visage, indéchiffré, brusque présent de feu,
vite réduit à sa trace de cendre.
Si tu le prends, le Livre se fait pierre,
la Bête sort du règne souterrain,
darde vers toi sa lance de vipère.
Celle qui vint s'éloigne, se dissout,
ne laisse qu'un parfum d'encens,
l'ombre d'une aile, l'ombre de son sourire.
Jean Joubert Anthologie personnelle Actes Sud 1997.
Bien à vous.
Merci, j'aime beaucoup! je ne connaissais pas Jean Joubert.
RépondreSupprimerIci, un souvenir en commun :
Supprimerhttp://jeanmarie-staive.blogspot.fr/2011/09/pause-livre-de-poesie-1984-jean-joubert.html
Che meraviglia, questo post, e che splendide fotografie!
RépondreSupprimerDa sempre sono particolarmente interessata al tema della "porta", della "soglia", del "confine" e di come questo tema viene rappresentato nella letteratura, nell'arte, nella fotografia e, ovviamente nell'architettura.
Grazie! :-)
P.S. Scusatemi se scrivo in italiano, ma il mio francese scritto non è all'altezza :-(
Oui Gabrilù, moi aussi ce thème des portes et des seuils me fascine!
SupprimerDans l'essai de Pascal Dibie (que je recommande encore chaleureusement à tous!)il est question d'un chapitre intitulé:"Des portes et des serrures pour les femmes".
Il mentionne le Traité de Raphael Alberti, Della famiglia,où la porte est à peine entrebaillée pour que l'épouse puisse montrer sa présence à l'autorité de la ville. Une tolérance de sociabilité.
Il parle aussi de la ringhiera, mot typiquement de l' histoire italienne. A la femme le monde privé de la maison derrière la porte, à l' homme le monde de la vie civile et publique.
Comme une étrange homothétie entre la "maison/corps de l'une et celui de la cité/corps de l'autre.
D'où la ceinture de chasteté, porte de la maison mystérieuse du corps féminin..
Vous lire en italien est un réel plaisir, ne changez rien!
Eh bien oui, la vie est une porte ! c'est pas pour rien qu'on est toqués !
RépondreSupprimer;o)
Et pas besoin de faire toc toc à tous les coups!
SupprimerOn dit bien que l'on s'est pris une porte sur la tête..
Et que dire du:"Tire la chevillette, la bobinette cherra"!
http://fr.wikipedia.org/wiki/Tire_la_chevillette,_la_bobinette_cherra
On ferme de l'intérieur mais si une fois à l'intérieur, on laisse la porte entr'ouverte?
C'est comme de se laisser aller aux dangers, tant physiques que psychiques.
Ici, on garde le parapluie!
par trois fois déjà j'ai tenté de laisser un commentaire : envolé, clavier bloqué. Oui les portes, je me fis la réflexion en vous lisant, et sans doute parce que la vallée du Lot fit le lien dans ma mémoire, que j'avais sans doute une affection particulière pour les portes : ni les prendre, ni les claquer, les écouter...
RépondreSupprimerDans la maison de mon enfance, dans la haute vallée, à l'est en amont de Cahors, il y avait un nombre incalculable de portes et finalement leurs grincements, le bruit des serrures et des poignées, la façon propre à chacune de s'ouvrir et de se fermer, permettait toujours de suivre la vie de la maison. Je les entends, je reconnais comme si j'y étais le rebond du marteau de la porte sur la rue, les vibrations de la porte vitrée sur la cour, le bruit du rideau de perles de buis, la résonance de la porte lourde sur la pièce voûtée, le timbre de la boutique...
Pourtant, malgré vos difficultés à ouvrir la porte électronique de ce blog, celui-ci reste ouvert. ( Vous avez les clefs, il me semble..)
SupprimerMais le détail du rideau en perle de buis me frappe, cela devient presque un rite de passage; Comment on le saisit et comment effectivement il manifeste un bruit bien particulier.
J'ai retrouvé dans le roman Justine de Roger Couderc cité dans un de mes derniers billets un passage où les portes sont les lieux qui déterminent le flux du désir, de l'angoisse ou de l'attente anxieuse.
Les photos ci-dessus sont ainsi les portes du roman et je m'en vais mettre ce passage en ligne.
Bien à vous.
« Il faut qu’une porte soit ouverte ou fermée »
RépondreSupprimerA. M.
http://www.leslarrons.com/00_koama/visu_larrons_v2/index.asp?sid=299&cid=10161&lid=1
Bel extrait vidéo dans votre lien, Bleu.
SupprimerMerci à vous!
Oui la porte qu'on ne peut posséder car elle n'appartient qu'à un entre-deux, la porte qui limite et s'approprie l'espace, celle qui ouvre le monde à condition qu'on s'en éloigne, celle qui rassure les possédants en les enfermant à leur tour...
RépondreSupprimerEst-ce pour cela qu'à une époque (médiévale, je crois)on disait que les mauvais esprits des morts se logeaient dans les gonds?
Supprimer" Vivre en vase clos porte à conséquences." (Gregor Samsa)
RépondreSupprimerVous rendez vous compte qu'on appelle des gens, Porte ? et des portes, manteaux.
J'ai beaucoup aimé, et portes et Ponge et Pierre Henry (encore !)
Pour Pierre Henri, je possède encore un 33 tours des années 70, avec sa Messe pour un temps présent et ce morceau précis.
SupprimerIl en existe un second sur la galette, avec des bruits de portes, précisément.
Bien belle journée à vous!
que le diable m'emporte si aux portes du midi il n'y en a pas une dérobée qu'on pourrait prendre pour toucher du bout des doigts un paradis ! là où celle en accordéon ou en tambour feraient danser les pas....de porte !
RépondreSupprimerPasser en coup de vent en quelque sorte?
Supprimer:)
«Une porte ouverte, un entre
RépondreSupprimerUne porte fermée, un antre
Le monde bat de l’autre côté » P. Albert-Birot
Qui n’a pas ressenti combien ce que nous percevons/vivons de l’intérieur même de notre être est vaste et sans commune mesure avec le peu qui transparaît aux yeux extérieurs ? S’il avait été possible d’illustrer ce commentaire, j’aurais choisi une vue des portes et fenêtres du palais Zuccari à Rome qui s’inscrivent dans une figure grotesque sous la forme d’une bouche.
« Comme tout devient concret dans le monde d’une âme quand un objet, quand une simple porte vient donner les images de l’hésitation, de la tentation, du désir, de la sécurité, du libre accueil, du respect ! On dirait toute sa vie si l’on faisait le récit de toutes les portes qu’on a fermées, qu’on a ouvertes, de toutes les portes que l’on voudrait rouvrir. » G. Bachelard (in La poétique de l’espace)
Testo e fotografie molto belle!! Felice inizio settimana...ciao
RépondreSupprimermerci Giancarlo!
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