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lundi 19 août 2013

Peinture vivante - Brèves du mois d'août (4)






" Et cependant, la Peinture prochaine semble n'avoir qu'un désir, un destin : devenir malgré tout une

PEINTURE VIVANTE.


On y voit une Princesse Impériale Chinoise faite, par raison politique, Reine barbare, et entourée de ses enfants dif­férents d'elle et qui sont d'elle. Le détail du vêtement, du décor somptueux et ridicule est à peine digne de nos yeux. Regardez plutôt le visage, classique et beau selon la règle, et comprenez ce qu'il exprime avec un air poignant qui n'appar­tient qu'à cette seule Peinture...
Car elle a des tensions intérieures, à peine sensibles, mais émouvantes plus que tout geste ; la soie ne bouge pas sous le doigt si vous tâtez, et cependant il passe, dans les moirures, des pulsations et des stries comme sur le dos de la chenille : la Reine autrefois livrée veut s'enfuir... de ce pays, ou bien de sa Peinture. Quel sortilège la fixa donc ainsi entre couleur et soie, quand la Politique l'avait faite recluse seulement aux provinces barbares !
Cette Peinture est donc doublement l'image d'une capti­vité. Cette Reine est la morte exilée. On pouvait, de son vivant, tenter de l'affranchir, et, par de nouveaux contrats heureux, la ramener au-dedans des barrières... Mais le pin­ceau, chargé d'art et de pouvoir magique, s'est trouvé plus puissant et plus méchant que la raison d'état. Il l'a créée, immortelle, liée, écrasée sur cette mince feuille fragile, ani­mée, souffrant tant qu'on la regardera. Ce pinceau tremblait d'émoi et suait la vie essentielle... Et maintenant, comment l'en défaire? On ose à peine la rouler pour l'ensevelir dans le cercueil de cèdre comme les autres... Manier comme du papier cette présence palpitante ? cette vie incluse qui veut naître? ce souffle qui veut s'expirer?
Le Peintre, s'il la voyait encore, s'épouvanterait de sa pein­ture : elle veut vivre et elle ne peut pas... Ses yeux s'allument et se voilent... Elle veut...
- Oh ! tuez-la plutôt! Tuez cette image agonisant depuis si longtemps. — Mais tuez-la donc ! Elle souffre sans espoir d'autre secours humain que le feu... Jetez-la au feu...
On ne la reverra plus jamais douloureuse, avec son grand air royal !"


Victor Segalen, Peintures, Mille et une nuits éditeur 2000.


Photo Versus

2 commentaires:

  1. J'aime bien le décalage opéré entre votre texte et l'image, l'ancien et l'actuel, le passé et le présent.
    La peinture, notre regard l'invente dans cette "caboche" de fête foraine ou de foire à la brocante...fugace, impermanente mais toujours prête à renaître!
    M. C.L
    Découverte ...du mois d'août.

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    Réponses
    1. Vous avez bien vu cette volontaire distorsion, peut-être difficilement discernable du premier coup, entre la peinture et la photographie.
      Être "vivant", est-ce sortir du cadre de la vision?

      M.C.L., je crois vous reconnaître, à bientôt j'espère.

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