" Mais tant que cela est encore possible, solitaires : restez-le ! Vous êtes les derniers à jouir de ce don extraordinaire qui fait de chacun de vous un monde unique à lui tout seul. À un moment où les bonnes âmes qui pensent pour les autres cherchent les moyens d'éliminer la solitude, il vaudrait mieux se préoccuper des moyens de la préserver. Idée saugrenue et incorrecte à l'époque où la vague de la convivialité obligatoire et de la sociabilité compulsive déferle sur les foules de l'ère des masses. Idée inutile surtout, car bientôt la solitude ne sera plus qu'un mot dans le dictionnaire archéologique des sentiments.
Impression trompeuse toutefois.La solitude, c'est un peu comme le diable, dont on a pu dire que la plus grande ruse était de faire croire qu'il n'existait pas. Depuis l'Antiquité, elle a été regardée avec méfiance ou effroi : l'homme est un être social, ont affirmé la plupart des philosophes classiques, d'Aristote aux Lumières, S'isoler est donc une attitude suspecte, sauf si cela est motivé par le désir de se rapprocher de Dieu, comme le prétendaient les Pères du désert, les ermites, moines et reclus du Moyen Âge, les jansénistes de Port-Royal. À partir de l'ère romantique, et à la suite de Rousseau, d'autres bonnes raisons d'aimer la solitude sont apparues : le rejet d'une société corrompue, l'amour de la nature, la recherche de consolations intérieures pour calmer les orages de la passion.
Depuis le milieu du XIXe siècle, ces hésitations face à la solitude se sont cristallisées dans une sorte de « lutte finale » entre les chantres de l'ère des masses et de la grégarité, qui ne voient de salut que dans la sociabilité et la convivialité, et la majorité des intellectuels et chercheurs en sciences humaines, qui mettent à jour la solitude irrémédiable de l'être humain. L'homme, être grégaire ou être solitaire ? La technologie contemporaine semblerait résoudre le dilemme, en permettant à chacun d'être à la fois isolé et relié à tous les autres en permanence. Mais cette innovation, qui est amenée à produire une réelle mutation du cerveau humain, de la psychologie et de la culture, escamote le problème de la solitude ; elle ne la fait pas disparaître, elle lui donne un nouveau visage et la rend plus insidieuse, car l'écran de l'ordinateur ou du téléphone, plus qu'une fenêtre sur le monde, est un miroir, dans lequel se contemplent des milliards de Narcisses. La nouvelle solitude s'appelle Communication."
Georges Minois Histoire de la solitude et des solitaires Fayard 2013.
L' ensemble des photographies, Versus 2013.
La solitude n'est pas un sentiment, elle est un état...de grâce!
RépondreSupprimerManouche, c'est votre côté moniale, alors?
Supprimer"associable" ce mot première fois entendu dans le bec de ce capitaine,ancien tueur. Alors c'est sûrement contagieux et la quarantaine est nécessaire. Détenu mais jamais seul.
RépondreSupprimerVous aussi, bourdon, vous aimez les cellules?
Supprimerj'ai beaucoup de mal avec la solitude! est-ce un conditionnement ou ce fameux instinct grégaire et pourtant je la recherche ( instants privilégiés, très tard ou tôt c'est selon où le silence m'enveloppe....rien ne trouble mes pensées...)
RépondreSupprimer"Conditionnement ou instinct grégaire", comme vous l'écrivez, Gwendoline
SupprimerGeorges Minois vous répond :
" Ressentir la richesse et le prix de l' existence humaine requiert des moments de solitude, même de solitude douloureuse, tout au moins mélancolique. Comment croit-on que sont élaborées les grandes œuvres spirituelles, littéraires et artistiques, sinon dans la solitude ? « La capacité d'être seul est souvent le fait de personnalités fortes, dont le caractère a été forgé dans l'enfance, ou bien elle peut avoir été imposée par les circonstances de la vie puis acceptée et apprivoisée », écrit Marie-France Hirigoyen, « Apprivoisée » : le mot revient une nouvelle fois. La solitude est mauvaise lorsqu'elle est imposée de l'extérieur à l'état brut, sous forme d'un isolement qui s'abat soudain sur l'individu mal préparé. Il est alors désemparé. Elle est en revanche bénéfique quand elle est délibérément choisie et utilisée comme affirmation d'indépendance, de liberté et de connaissance de soi, donc apprivoisée. Et la société contemporaine, prise entre la grégarité et l'individualisme, n'arrive pas à se déterminer : « L'individu est au centre de notre monde, mais il y est seul, car il n'est qu'un pion dans une multitude de mêmes, un "individu sérialisé". Dans un monde où nous ne sommes que des clones, chacun aspire à être unique. [...] D'un côté, la société donne une grande importance à la singularité du sujet et, de l'autre, la pensée s'est normalisée : il faut penser comme les autres, appartenir à un réseau, ne pas sortir du troupeau. C'est particulièrement vrai dans le monde du travail, où l'on tient un double langage, proposant à chacun d'exprimer sa personnalité, tout en obligeant les salariés à rentrer dans le moule. »" (Histoire de la solitude et des solitaires,pages 536.)
la solitude est un pays que l'on traverse parfois ! si on s'y arrête
RépondreSupprimerun peu on y récolte de l'énergie, on prend de la hauteur pour s'apercevoir qu'on n'est pas seul ! mais pas toujours....
Votre remarque est fort juste, Marty!
Supprimer" L'erreur fondamentale est d'associer systématiquement solitude et détresse, et de vouloir éliminer la solitude pour faire disparaître la détresse. Qu'il y ait de nombreux cas où la solitude soit mal vécue et ressentie comme une insupportable exclusion est une évidence. Mais la solitude est-elle la vraie et l'unique responsable de ce mal de vivre ? Plutôt que de chercher à l'éliminer, il conviendrait de l'éduquer, de l'« apprivoiser », suivant l'heureuse formule de Jean-Pierre Quinodoz. Car la solitude est une dimension essentielle et utile de l'être humain, qui a besoin dans une certaine mesure de se sentir seul pour se trouver, pour coïncider avec lui-même. Le sentiment de solitude peut être diffus et constant, ou ne survenir que dans des moments forts et privilégiés, suivant les tempéraments. Mais il est indispensable si nous voulons assumer authentiquement notre condition humaine au lieu de Vivre exclusivement dans une illusoire communauté « branchée », c'est-à-dire connectée. Ce sont ceux qui ne ressentent jamais le sentiment de solitude qui sont à plaindre."
Georges Minois, opus cité page 535.
Ah, je l'aime celle-ci, elle me convient et notre entente se résume en de de belles épousailles. Paradoxalement, elle est un lien, allez savoir pourquoi !
RépondreSupprimerSi vous aimez la solitude, Frederique, laquelle a votre préférence?
SupprimerJ'aime vos photographies en ombres portées, le troupeau fait de nous des ombres, belle symbolique!
RépondreSupprimerG.P.
Oui, de l'ombre à la lumière, nous sommes nous-même et différent!
SupprimerJoli sujet de réflexion... (dans les yeux des autres ?) superbement illustré.
RépondreSupprimerIl existe des solitudes mondaines, aussi, " dans les yeux des autres", comme vous l' écrivez..
SupprimerPourquoi devoir choisir : la solitude est vitale ET la solitude peut être fatale.
RépondreSupprimerLa découverte de notre singularité n'est pas donnée; elle se fait par au moins deux chemins : par le "connais toi toi-même" socratique -qui demande un minimum de distanciation, de solitude -, et par la confrontation à l'autre. La communication n'est pas nécessairement le miroir d'un narcissisme exacerbé.
On peut comprendre la crainte ambiante face aux nouveaux médias, mais elle est éternelle. Depuis Socrate jusqu'à nos jours en passant par Gutenberg - voir un très intéressant article ici :
http://www.slate.fr/story/17675/fuyez-les-livres-fuyez-lecole-fuyez-facebook
Dans le même temps, on peut être horrifié par ceci (si cela s'avère vrai) :
http://www.7sur7.be/7s7/fr/4134/Internet/article/detail/1481972/2012/08/07/Les-anti-Facebook-sont-ils-des-psychopathes-Ca-se-pourrait.dhtml
Donc, "Connais toi toi-même et tu connaîtras l'univers et les dieux".
…et tu pourras partager tes découvertes…peut-être...
Chez Platon et Aristote, tchaoupisque, le solitaire est un monstre ou un dieu, non?
SupprimerCes deux philosophes ont exprimé leur méfiance, voire leur hostilité à l'égard de la solitude.
L' homme est un animal social et la solitude n'est pas humaine pour Aristote.
Par la maïeutique, Platon nous dit que le "connais-toi toi-même" ne peut être opérant que par un interlocuteur qui nous "aide" à être ce que l'on est.
Je renvoie encore une fois aux pages 26 à 28 du livre de Georges Minois.
( Pour ne pas abuser de la citation...)
J'aime surtout la première, elle est géniale !
RépondreSupprimerVous parlez des photographies, joye?
SupprimerL' ombre portée des tables renversées d' un bistrot..
au début de mon apprentissage du français..j'avais de la peine à distinguer..solitaire et solidaire..:)))
RépondreSupprimerles deux me conviennent...
Les solitaires de Port-Royal brillaient comme des diamants..dans leur écrin en forme de jardin, la Solitude!
SupprimerLa solitude?
RépondreSupprimerSouvenir, souvenir...
http://www.youtube.com/watch?v=QRMJngZ6G5A
Bon week-end!
Déjà " l'ordinateur neurophile", quelle intuition, en 1971!
SupprimerMerci A que je crois reconnaitre.
Ma préférence va au lien de l'Anonyme (Léo Ferré) et au marbre (est-ce un marbre ?) de votre photo.
RépondreSupprimerSouvenir aussi pour moi que cette "Solitude" de Léo Ferré, Frederique, il y a maintenant plus de quarante ans!
SupprimerSon " conduit à travers lequel les analphabètes se donnent bonne conscience", quelle intuitive actualité, encore!
Trottoirs et esplanade de cailloux incrustés dans le ciment, bien que dans le sud, ce n'est pas encore l' Italie...
:)
Trottoirs et esplanade de cailloux incrustés dans le ciment, bien que dans le sud, ce n'est pas encore l' Italie...
RépondreSupprimerPour la photo, bien sûr!
La solitude? elle m'aime, je l'ai apprivoisé, je la retrouve chaque jour, elle m'est nécessaire pour m'abandonner à la contemplation...(nous sommes souvent seul au milieu du troupeau...)
RépondreSupprimerJ'aime les photos, ces ombres...bel après midi
" Dans les tourments infirmes dans les rides des rires
SupprimerJe ne cherche plus mon semblable
La vie s' est affaissée mes images sont sourdes
Tous les refus du monde ont dit leur dernier mot
Ils ne se rencontrent plus ils s' ignorent
Je suis seul je suis seul tout seul
Je n'ai jamais changé."
Paul Eluard L' Univers-solitude.
Salut Versus,
RépondreSupprimerRechercher son semblable. Car il nous est semblable. Comme un jeu de cache-cache. Avec soi. Le temps de se trouver.
Mathieu F