" Sois d'exil et bénis l'exil ! Tonnerre enfui, pierre lavée !
Ta bouche a-t-elle encor souffle après la tornade ? Alors nous verrons bien si ton peuple est d'exil, si ta plante est d'exil, et si ton talon s'est marqué sur la route exilée des morts !
Si tu es de ces hautes landes libres ! de ces lacustres idées ! de ces vides souverains au carrefour des avalanches !
Dis l'exil ! Nomme l'exil ! Nous verrons si ta demeure est assez creuse et descend dans assez de vent et s'incruste enfin tranquille par delà pierres et planches.
L'exil dont je veux parler maintenant est l'état d'exil intérieur et de proscription pour cause de nature, de tempérament, forme de pensée ou manière de vivre. Je connais cet état depuis une vingtaine d'années. La conscience de cet état, la mesure de son étendue, ont été mes préoccupations ordinaires. On peut être en parfait état d'exil au milieu des siens ; je sens que je n'ai pas vécu autrement."
Pierre Jean Jouve En miroir Mercure de France 1954.
Photos Versus 2014.
Tableau de bernard Lachaniette détail ( première photo).
Descendu l'escalier de la maison et c'est déjà l' exil?
RépondreSupprimerAMS
Un autre monde, certainement, hors les murs.
SupprimerLa solitude dans la foule...
RépondreSupprimerTrès Baudelairien, oui.
SupprimerJe pensais à Jaccard et Cioran... et le bleu de la première illustration m'a fait penser que l'exil parfois, prenait de belles couleurs.
RépondreSupprimerMerci aussi pour la couleur d'un certain pantalon... pas encore croisé, mais, je ne renonce pas ;)
Roland Jaccard et son " exil intérieur ", j'y ai pensé aussi.
SupprimerN'écrit-il pas dans son La Tentation nihiliste :
" Dans l'Empire austro-hongrois, les soldats qui s'étaient distingués au combat recevaient une décoration où était inscrit : " Pour acte de bravoure face à l'ennemi." mais vient le temps où l'on apprend qu'il n'est de pire ennemi pour soi que soi-même et qu'il faut un courage d'une tout autre nature pour affronter ses propres idées. Penser c'est toujours penser contre soi. Concédons qu'une complicité secrète règle les rapports en apparence antinomiques de l'idéaliste et du nihiliste : tous deux rêvent d'un apaisement total du monde soit par réalisation d'une plénitude générale, soit par abandon de ce même monde à ses mauvais génies."
En ce qui concerne P.J. Jouve, la psychanalyse lui fit découvrir et approfondir par ses moyens propres - la poésie - les affrontements de cet " exil intérieur".
Ce texte poétique, il est vrai, me touche beaucoup par son humanité car il me semble qu'il peut évoquer aussi des exils qui ne sont pas artistiques
RépondreSupprimerVous avez raison, l’exil est existentiel.
Supprimerexilons nous ...pour comprendre un peu...
RépondreSupprimerL' exil volontaire...Est-ce si facile?
SupprimerL' exil nous mène "ailleurs", non?
L'exil intérieur:,le plus profond et le plus périlleux.
RépondreSupprimerOui, car il peut impliquer une rupture définitive, la mort.
SupprimerEt l'ours en peluche a-t-il connu l'exil le temps d' une photographie ?
RépondreSupprimerDouble exil...
SupprimerCelui d' être jeté à terre, séparé de celle ou de celui qui investissait dans cet "objet" à la Winnicot et de ne pouvoir sentir et rejoindre sous les pavés, la plage...!
Ça devrait être griffu et inhabitable, l'exil, et ici, sur cette page, deux photos lumineuses, deux créations où ce qui est dehors est dedans, un texte tout autant... et l'exil devient une royauté, un songe, presque un seuil. une barque fragile, lourde de mémoire.
RépondreSupprimerOui, l' exil et le royaume un beau titre d' un recueil d' Albert camus.
SupprimerOh, merci.
SupprimerAlbert Camus, en majuscule, vous aurez corrigé...
RépondreSupprimerL'art est peut-être un moyen de mieux vivre cet exil ? (ou bien, un symptôme d'icelui ?) (;)
RépondreSupprimerBonne question qui, je pense demande une réponse individuelle, propre à chacun selon son caractère.
SupprimerVoici ce qu'en dit pour sa part Pierre Jean Jouve :
page 146
EN MIROIR édition 10/18 1972.
" Les événements de mon exil ont été changeants, tous avec le caractère commun d'exil. Les uns presque brillants, dans cette zone d'éloignement qui ne s'en va jamais de moi ; les autres cruels ; et continuellement variables. Les moments de faveur ont toujours été payés par des chutes consécutives. Bien des crises de fureur et d'angoisse, et des reprises après les chutes. Tout cela somme toute à la surface, laissant à peu près intact le fond du courage quotidien, avec très peu d'espoir. Et des dénuements extraordinaires. Cet état comportait au total une certitude. Le temps use le courage, sans étouffer encore la certitude. Telle est l'évolution des exils. Il m'arrive de me demander si je n'ai pas eu une affreuse prémonition, lorsque j'ai dessiné (par les traits grossis d'un personnage) la fin de Luc Pascal dans le monde désert.
Je conviens d'avoir, en une large mesure, choisi l'exil. Ma nature est sauvage et presque toujours insatisfaite. Mieux valait, me disais-je, l'exil que la compromission. Mais je porte une tendance qui ne s'accorde que rarement avec le jeu de la vie ; c'est la tendance de rupture."
L'exil peut donc être un état psychique constitutif d'une personne, peut importe laquelle, l' écrivain, l' artiste étant de celles qui puissent l' exprimer par leur art ?
RépondreSupprimerVoici la réponse apportée à votre question par Pierre Jean Jouve dans ce même Journal sans date En miroir :
Supprimer" Quand un homme vit longtemps loin de son sol, on dit que son humeur s'altère, et la couleur des choses. C'est l'inscription du tombeau d'Ovide. L'exil intime, la séparation d'un esprit public, ne fait pas moins de mal à l'exilé.
La monotonie complète des jours, qui sont attachés seulement au travail, est une mauvaise récompense pour le travail. La difficulté vaincue et la page achevée, il y a comme un abîme de travail qui reste béant. L'âge soupire parfois après quelques distractions. Le quartier suburbain de Paris où je me suis retrouvé est bien fait pour exciter les ressentiments et la mélancolie. Quelle autre sensibilité j'avais lorsque j'habitais le « quartier de Meryon », dans un de ses appartements qui me fut volé pendant la guerre. Un cercle formé de peu d'amis est sûr; il n'est pas dit qu'il soit toujours salutaire. L'amitié peut souligner la constance de l'isolement et augmenter le poids de l'heure. Je n'ai jamais su avouer à mes amis la dernière de mes détresses : la voix se change en parlant. Me montrer en vérité est impos
sible, biaiser est malsain ; entre leur âme et la mienne survient parfois un affectueux cauchemar de silence.
J'ai pris enfin durant ces dernières années le travers de restreindre encore mes engagements et mes contacts. Dans la mesure où je puis prévoir une déception, je m'abstiens. Cette politique de la déception peut devenir une pratique d'avarice. Mais ce qui m'éloigne du « siècle à mains » est si notoire, que l'ennemi a pu me donner la réputation d'un personnage ombrageux, amer, d'un misanthrope inaccessible. Ceci n'est pas le moins du monde fondé : j'en appelle à ceux qui sont venus jusqu'à ma porte, et ont toujours été reçus simplement.
Je découvre, dans tout ce qui m'est arrivé, au-dessus de l'épreuve soutenue, une relative protection dont je n'analyserai pas la nature. Tout s'est passé comme si je devais pâtir, mais comme si devait prévaloir finalement la solution qui exclut le malheur extrême. C'est ainsi que, sans réel secours, j'ai traversé la crise morale et psychique de mon adolescence, les événements des deux guerres, les graves déboires dans la sortie de mes ouvrages. Je n'ai point rencontré le pire, en le frôlant souvent. Je n'ai pas non plus désarmé mon ennemi. La peau de chagrin ne s'est pas encore rétrécie, et je dépasse soixante-cinq ans en conservant à peu près le forces de la quarantaine.
Je n'arriverai donc pas à l'extrémité de l'exil intérieur, qui est refus de vivre. Si je puis faire une prière, je demande que la colère ne vienne pas à bout de ma résistance. C'est l'injuste colère qui me fait reporter sur mes écrits des sentiments de négation acharnée, que méritent à mes yeux tant de choses extérieures de ce temps. Que par une faveur momentanée du Ciel, je puisse ouvrir un livre en n'importe quel endroit et me sentir rassuré."
pp. 150-152 de l'édition citée supra.