" A quoi bon créer des images du corps humain, à quoi bon essayer d'en découper les contours, quand il y a la réalité, la vérité, le corps lui-même? Comment préférer l'ombre à l'objet, ou le modelé à l'original? Les animaux, les plantes, les démons, on peut les peindre, puisqu'ils sont au-dehors. Mais soi? Mais son visage, ses membres, son ventre, son sexe, son dos, ses reins, ses épaules? La vérité du corps humain est intransmissible, elle n'est pas étrangère, elle ne peut pas être épiée du dehors. Au centre du corps est le feu ardent de l'existence, dont le rayonnement illumine doucement l'enveloppe de la peau. Les pensées, les élans, les désirs, tout cela qui frappe et trouble, qui lance ses appels, qui vibre et frissonne, tout cela arrive jusqu'à l'armure de la peau, et se met à tracer ses sarabandes de signes, les dessins bleutés de la vie, les cheminements des gouttes de sueur, les cicatrices, rides, vergetures, la respiration et les petits nuages d'odeurs.
L'Indien peint son corps, parce que c'est la plus grande expérience de conscience jamais imaginée par l'homme. Il sait qu'il est vivant, il le sait. La peau est le spectacle de sa vie, offert aux yeux des autres, et en même temps la protection du corps contre les agressions et les inquisitions du monde extérieur. Les habits peuvent préserver du froid, ou du soleil. Les armures de caoutchouc et de bois peuvent préserver des flèches. Mais ils ne préservent pas du regard des autres, de tous les autres qui sont étrangers au corps. Misérables haillons qui laissent le corps sans défense, qui le livrent même, puisque au-dessous, la peau nue, sans dessins, sans conscience, est anesthésiée. La peau blême des peuples habillés est sans méfiance ; les balles des fusils et les dards des yeux y percent vite leurs petits trous sanglants.
L'Indien peint sa peau, et il cesse d'être nu. Sa peau devient toute pareille à un miroir, qui ne renvoie aux yeux des ennemis que leur propre image. Et par chacun des dessins écrits, au même moment la peau se met à voir, miracle, elle se couvre de milliers d'yeux ! "
J.M.G. Le Clézio Haï
Les sentiers de la création Skira éditeur 1971.
Oeuvres originales Jean Marie Staive 2005.
Photo Versus 2012.
nous sommes toutes des indiennes..
RépondreSupprimerAvec de grands et multiples yeux!
SupprimerLe premier est un paon, sur la deuxième s'annonce le fauve.
RépondreSupprimerEh,je n'y avait pas songé au paon,joye!
SupprimerSes grands yeux de plumes.Et voilà que j'ai aussi oublié " Les tentations des plumes de paon" de Gaston Chaissac paru en 1963. Même que j'en ai un exemplaire dans ma bibliothèque...impardonnable!
Sinon, avez-vous des indiens de par chez vous?
( Des amish,peut-être?..)
Oui, des Mesquawki de Tama, et encore quelques Cherokees dans le coin. Il y a aussi des Fox et des Sac, mais je n'en connais pas personnellement. J'avais des élèves nés en Floride, mais j'oublie le nom de leur tribu. Honte à moi !
SupprimerDes indiens amis-amish j'en ai plein l'ordi!
RépondreSupprimerHabillés à l'ancienne avec diligence et cheval, nos amish.
SupprimerLe parchemin de la peau en dit long... d'ailleurs ne tire-t-on pas des peaux tendues les meilleurs vibrations ?
RépondreSupprimerEt les tambours en peau d'homme,cela existe!
SupprimerJe vous fais parvenir le texte sur Henri Michaux..
Il y a des oeuvres qui illustrent des textes, ici c'est le texte - quel texte ! - qui illustre vos oeuvres. Il y a beaucoup à regarder & lire chez vous dès que j'aurai plus de temps, mais d'abord, du soleil sur la peau qui lui cligne des yeux - semaine d'été splendide à Bruxelles.
RépondreSupprimerIl s'agit peut-être d'un accompagnement, les mots et les regards, d'un enchevêtrement.. Chaque élément étant sa propre illustration?
SupprimerA regarder sans lunettes de soleil!
…"L'Indien peint son corps, parce que c'est la plus grande expérience de conscience jamais imaginée par l'homme. Il sait qu'il est vivant, il le sait. …"
RépondreSupprimerLe Clézio est bien gentil mais il en fait trop sans doute par haine de soi-même sans doute, comme beaucoup d'occidentaux. Cette "conscience du corps" les indiens ne sont pas les seul à la posséder, il ne sont pas les seuls à la peindre le corps même si ce n'est pas directement sur le corps et le corps a trôné explicitement au centre de l’iconographie occidentale principalement chez les catholiques pendant des siècles, c'est celui du mystère de l'incarnation, mystère pour lequel on a inventé la peinture, le retable le tableau… Mais depuis que nous ne croyons plus en rien (sauf éventuellement au croyances de autres sans les comprendre et qui sont commode car elles nous nous engagent à rien, et à l'argent tout en le détestant) le corps dans notre société n'est plus rien qu'un truc pratique, un objet bientôt interchangeable. Comme le disait bêtement un Fernand Léger :
“pour moi, la figure humaine, le corps humain n‘ont pas plus d’importance que des clés ou des vélos.
C‘est vrai. Ce sont pour moi des objets valables plastiquement et à disposer selon mon choix.”
Triste réalité, triste constat et triste tropique pour citer Levis Strauss… Nous sommes aujourd'hui désincarné, sans corps, sans peau, sans sang, sans squelette sans Dieu… sans peinture.
Le problème sera désormais: comment retrouver un corps et lequel?
Oui, retrouver le corps du délit.
SupprimerMais les croyances, elles prolifèrent!
Le corps ? Une frontière entre le moi et le monde. Mais qu'est-ce que le moi qui si souvent s'échappe du corps ou en modèle, par les gestes, un monde inconnu...
RépondreSupprimerCertains êtres ont la beauté comme distribuée par une loterie : passeport pour des regards d'esthètes ; d'autres cachent leur beauté au fond du derme comme une rivière souterraine ; d'autres peignent leur corps volant par là les couleurs et les apparences du monde animal ou floral.
Peindre un corps nu (atelier) c'est partir à la recherche de la beauté même si elle est "convulsive" ; peindre sur un corps nu c'est l'effacer, le dissoudre dans la couleur.
Tatouer un numéro sur un avant-bras c'est faire chuter toutes les étoiles comme dans les toiles désespérées de Anselm Kiefer.
Mais il y a l'été qui lave les corps de sa douce écume ou des eaux transparentes des rivières, redonnant aux nageurs une origine perdue ou tout était liquide et silence ouaté, juste bercés par le battement assourdi d'un cœur.
Voir Michel Thévoz, Le corps peint chez Skira, Christiane.
SupprimerBelle fin de week-end.
huit yeux une araignée c'est dans ma tête...
RépondreSupprimerJe suis stupéfait par la frontière de Christiane,ne fait-elle pas partie des univers qui nous constituent.
Nos peaux ne sont pas des interfaces,tout est mondes en nous.
Oui, Le Bourdon, je pense à l'instant à l'araignée d'Odilon Redon.
Supprimerhttp://images.telerama.fr/medias/2011/03/media_67038/odilon-redon-le-reveur-eveille,M50875.jpg
Magnifique, toutes ces réflexions, merci!
RépondreSupprimerD.F.
Merci de votre passage!
SupprimerUn peu débordé Giancarlo, il me faut vous rendre visite.
RépondreSupprimerPromis!
Personnellement je suis trop instinctif et visuel pour suivre la lecture jusqu'au bout. Je préfère me laisser divaguer avec ces yeux qui me prennent par la main.
RépondreSupprimerAmicalement
Des yeux préhensiles, alors!
SupprimerEt séduire avec des yeux de plumes... pour vérifier que l'on est bien vivant...
RépondreSupprimerCligner ou clignoter, comme des lumières sur les grèves...
SupprimerBelle alliance. Etre l'Indien de soi, on peut le faire à même la peau ou en la recouvrant de soies ou de laines de couleur. Chacun se fabrique son scaphandre pour se mouvoir dans la mer humaine
RépondreSupprimerL'indien de soie, enfin zoé pour le dire, bravo!
SupprimerL'indien c'est aussi l'autre inconnu trouvé par erreur, comme l"Amérique!
Mais lui nous regarde...