27 février 1928 - 28 novembre 2015
PORTRAIT D'HOMME
Moi,
Marcus Silésius,
poète,
je me suis arraché du monde.
Dans la forêt, au plus noir, j'ai bâti
ma tanière de branches.
Là-bas, dans leurs palais, longtemps j'ai répété
que je voyais grandir le feu et la famine,
j'ai dénoncé l'orage et l'imminence du charnier.
Qui m'écoutait ? Quelques fous, quelques enfants,
une femme qui apprêtait ses linges et ses larmes.
Les autres m'ont haï ou méprisé.
On se détourne ainsi des diseurs de lumière !
Dorénavant j'habite le silence,
je me lève à l'heure du sanglier,
j'attends le cerf au seuil de son royaume.
Je vieillis dans l'orgueil, mes oracles m'étouffent.
Parfois, du haut de la falaise,
je regarde très loin fumer les villes :
braises, cendres, déjà poussière.
( D' après Holbein.)
Jean Joubert, Cinquante toiles pour un espace blanc (1981)
in ANTHOLOGIE PERSONNELLE Actes Sud éditeur 1997.
Photos Versus.
En hommage :
Reproduction 4, une des trois linogravures originales de Jean Marie STAIVE en feuille volante ( en tiré à part ) du tirage de tête du recueil de poèmes de JEAN JOUBERT, Une maison de miroirs Dominique Bedou éditeur 1984.
Pub pour la COP 21 !
RépondreSupprimerPas vraiment, non.
SupprimerMais Jean Joubert qui vient de décéder s' est penché très tôt en poète sur les auteurs écologistes américains comme H.D. Thoreau.
Si on considère que les COPropriétaires vont surtout brasser du vent, ce serait une anti-pub ! Les enfants de Noé, qui connut un succès de vente à sa sortie, fut (outre un bon livre) une mise en garde contre lé dérèglement climatique à une époque où les gens s'en fichaient comme de colin tampon.
SupprimerTout le passage où pèse la peur de la mort de la mère est particulièrement angoissant. Je m’autorise à y voir une parabole de la mort de la terre-mère...
@PMB
SupprimerPour aller dans le sens de votre remarque, je relisais ses " Portraits de femmes" dans son recueil Cinquante toiles pour un espace blanc :
1) Messagères des morts
2) Cavalière d' un songe
3) Sorcière
4) La nonne.
De qui ou de quoi le noir est-il le miroir?
Sans esbroufe ni complaisance, dans une versification libre, presque traditionnelle, Jean Joubert arrive à convaincre que l'omniprésence onirique n'est pas sans moduler ni modifier la réalité. Que le moindre signe inattendu peut faire surgir, dans un contexte aussi
RépondreSupprimerbien urbain que campagnard, l'étonnant mystère d'un monde hostile où l'homme n'est plus en harmonie avec les éléments naturels. En quête d'une vérité sans visage, Jean Joubert donne à ses images et à ses méditations la dimension solaire d'aspirations simples et salutaires.
Jean Hurtin (Le Magazine Littéraire, Cinquante ans de poésie française, 1987)
Poète du songe et de l' Éros, des nappes ténébreuses et de la fatalité, Jean Joubert sonde l' obscur et ses fissures. La réalité se dérobe, la clarté perd pied. Joubert aux prises avec la division du rêve et du réel, du concret et de l' imaginaire, du fugitif lié au surnaturel, pousse toujours plus avant une interrogation qui ne débouche sur aucune certitude.
SupprimerJean-Louis Depierris (La Quinzaine Littéraire, 1974.)
Du songe de l' Eros :
Ce qui souffle dans la nuit,
ce qui murmure
c' est la bouche bleue des sirènes
sur leur lit d' ardeur et d' ossements
Un vaisseau passe contre la lune,
voiles gonflées comme les seins des enjôleuses.
Touffes noires,
hanches usées :
nourriture du rêve.
Et, pour la soif,
ces fruits fendus
où perle une rosée de sève.
JEAN JOUBERT.
À l'écoute du mystère, solaire et nocturne, Joubert, en peintre et en musicien, célèbre les noces de l'homme et de la terre, parcourt l'autre versant du réel, fait mieux voir les êtres et les choses selon leurs dimensions de temps. Par delà l'inquiétude de la beauté, l'angoisse du devenir, le poète (l'homme) apparaît calme et confiant, assuré de trouver en lui-même des éléments de survie. Et surtout, il y a ce qui dépasse toute tentative de description d'une poésie : cette joie panique de l'imaginaire, cette création et ce renouvellement incessants qui sont la vie même.
RépondreSupprimerRobert Sabatier (Histoire de la poésie française, 1988)
SUR L’ AUTRE RIVE
RépondreSupprimerSur l’ autre rive du fleuve
déchiré d’ écumes cruelles
une femme fit un geste
et lui parla.
Mais la rumeur était si grande
de l’ eau de glace sur la roche
qu’ aussitôt la voie se perdit
dans l’ impossible transparence.
Il rentra dans sa chambre blanche.
Il lut un livre qui traitait
de la sagesse de Socrate
et de la mort.
Puis soudain la nuit tomba
sur ses mains et son visage.
Et lui poursuivait encore
le mince et douloureux secret.
Jean Joubert
Campagnes secrètes ( 1963 )
in ANTHOLOGIE PERSONNELLE Actes Sud éditeur 1997.
" Si, plus précisément, je m'interroge sur la genèse de la plupart de mes poèmes, je constate qu'ils naissent d'une perception ou de la réminiscence d'une perception antérieure, qui, pour des raisons complexes, déclenche l'émotion initiale. Cette émotion indispensable, génératrice de désir, et qui joue en quelque sorte un rôle de catalyseur, va provoquer un précipité d'éléments multiples, provenant de différentes strates du psychisme, dans le domaine sensoriel, affectif et culturel. Et, bien entendu, puisqu'il s'agit de poésie, on assiste à une apparition simultanée du langage. Les mots surgissent, s'associent, un rythme s'impose, dont la présence entraîne le déroulement continu du poème. Il existe, à ce niveau, une spontanéité qui cependant n'exclut pas le contrôle, et, bien entendu, un patient travail de révision succédera au jaillissement initial. Quant aux images, également spontanées, elles puisent leur substance dans le réel le plus concret, dont elles mettent en analogie des aspects en apparence distincts, voire antinomiques. Bachelard a très bien montré que les éléments nourrissent une puissante rêverie de la matière, et que, d'autre part, se manifestent, dans l'œuvre globale d'un poète, des dominantes qui suggèrent une relation privilégiée avec l'un de ces éléments : l'eau, en ce qui me concerne, présente dans mon signe astrologique - les Poissons - aussi bien que dans le paysage d'enfance et bon nombre de mes rêves et rêveries. Je pourrais, de la même manière, parler d'un bestiaire, d'une flore, d'objets ou de personnages qui surgissent de façon récurrente et parfois obsédante."
RépondreSupprimerin Anthologie personnelle Actes sud éditeur, avant-propos page 11.
Jean Joubert parcourt son domaine, sans hâte, à feutrés, foulant un sol lumineux et bruissant dont il interroge les trésors les plus secrets... Ici tout est louange, tout est nomination. Froissement de robes et de roseaux. Jeux troublants de linges et d'eaux... Éparpillé dans la multiplicité éblouissante et sensuelle de tout ce qu'il recense, le maître du domaine, sans nulle précipitation ni fureur, cherche « le lieu d'asile », " l' ordre fermé », « le centre » de son domaine - foisonnant univers - où règne « le bleu vertige de l' immobile ».
RépondreSupprimerVahé Godel (La Tribune de Genève, 1974)