REPONSE A UNE ENQUETE*
Monsieur,
Je suis très flatté que vous me compreniez parmi « les artistes les plus en vue de ce temps ». Il est vrai qu'ils sont si nombreux !
Votre enquête arrive à propos. L'évolution Dada étant complètement terminée, je puis vous avouer que j'ai quelques regrets d'avoir contribué à créer ce mouvement.
Je n'y voyais qu'un moyen de « déblaiement » qui permettrait, par la suite, une floraison plus puissante, plus intéressante, plus épurée.
Mon espoir a été déçu. Non seulement ceux dont nous avions assez sont demeurés, mais Dada, par son attitude relâchée, a permis à toute une corporation de jeunes impuissants de se produire, en essayant de se faire prendre au sérieux. Je tiens pourtant à dire que grâce à Dada j'ai pu connaître les deux seuls hommes véritablement intelligents qui en aient fait-partie : André Breton et Louis Aragon. Comme moi, ils ont le dégoût de ceux que le succès grisa et qui se prennent maintenant pour de grands hommes, ou cherchent à tirer parti de ce succès de façon mercantile.
Mes idées actuelles s'orientent de plus en plus vers le but d'un art s'inspirant de la vie de tous ; elles s'accordent avec un désir de lutte contre la prostitution, contre l'opportunisme, contre tous les individus qui créent les lois pour les autres, afin de mieux les esquiver eux-mêmes.
Mes projets sont de continuer à vivre, par conséquent à évoluer vers un idéal qui s'éloigne de plus en plus du genre que les gens appellent « amusant » ou « pittoresque » et qui représente pour moi l'esprit dont j'ai le plus horreur... personnalités de « m'as-tu-vu » capables de me rendre assassin, ou à défaut de me donner l'envie de fuir vers une autre planète où il n'y aurait plus que des animaux, et encore des plus primitifs ! C'est contre cet esprit que mes amis et moi nous voulons réagir, et c'est à cet effet que nous comptons publier un grand journal dont le titre sera La Vie(1), journal chargé de démasquer toutes les hypocrisies, les lâchetés, les malpropretés de notre époque."
Francis Picabia
* Le Figaro, 20 août 1922, p. 2, sous le titre « Vacances d'artistes ». La lettre est adressée à Jack Pencil, qui organisait l'enquête.
(1) Ce journal ne verra pas le jour, mais F.P. écrira en 1923 dans La Vie moderne puis dans Paris-Journal (acheté par Hébertot) dont Aragon sera quelques temps rédacteur en chef. On pourra lire dans ces deux journaux des déclarations d' intentions fort proches des souhaits exprimés ici par F.P.
Extrait de PICABIA écrits ** 1921-1953 et posthumes.
Textes réunis et présentés par Olivier Revault d' Allonnes et Dominique Buissou Pierre Belfond éditeur 1978.
L' ensemble des photographies Versus.
Grande nostalgie.
RépondreSupprimerAujourd’hui, c' est la course effective aux mérites toutes catégories confondues.
Le mérite ( si l' on peut dire ) consiste à la récupération quasiment officielle d' une négation toute académique à l' opposée de celle de Dada et des surréalistes.
SupprimerÊtre contre est devenu être tout contre les pouvoirs économiques et de la gloriole communicationnelle.
le cycle maquillé comme une voiture volée, je songe à ce "Voleur de bicyclette".
RépondreSupprimerLà, on le remarque de loin dans son étrangeté, le cycle, non?
SupprimerFait pour être vu, il brille de tous ses rayons.
Ou bien alors on le chevauche comme une bête bariolée comme il est.
A vous de choisir votre " art attitude"!
Jeanne Siaud Facchin aurait peut être dit que c'était la bicyclette d'un surdoué (e)
SupprimerCet homme dont on voit le vélo sur le devant. De la scène doit être un drôle de zigoto qui a pignon sur roue
RépondreSupprimerPignon sur rue, cela est sûr...!
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