Agrafage original de Jean Marie STAIVE |
" II existe des lieux, des moments, où le visible s'estompe, où tout s'évanouit. C'est un brouillage, un effacement, une résorption des figures dans des surfaces mornes. Ça fait des vides pour les regards ou des pleins monotones. Mais, réellement, ce ne sont ni vides ni pleins. Ces choses-là ne sont pas des choses. Elles surviennent, ce sont des événements. Par exemple, tout s'ensable.
Les brouillages de la vue ont un lieu, ont un temps. Mais, tout s'y mêlant, tout s'y perd. Le temps, les choses, tout disparaît dans un chaos : parfois c'est la poussière ou c'est l'ensablement; Léonard de Vinci cite les eaux troubles, eau et sable mêlés, où la vision se noie. Or que tout disparaisse, soi-même on est perdu. Comment existerais-je visiblement si plus rien du dehors n'est distinct? Plus rien ne s'opposant à rien, ne s'opposant à moi, et sans rien que je reconnaisse, comment me reconnaître, moi?
Les brouillages de la vue ont un lieu, ont un temps. Mais, tout s'y mêlant, tout s'y perd. Le temps, les choses, tout disparaît dans un chaos : parfois c'est la poussière ou c'est l'ensablement; Léonard de Vinci cite les eaux troubles, eau et sable mêlés, où la vision se noie. Or que tout disparaisse, soi-même on est perdu. Comment existerais-je visiblement si plus rien du dehors n'est distinct? Plus rien ne s'opposant à rien, ne s'opposant à moi, et sans rien que je reconnaisse, comment me reconnaître, moi?
Ces confusions sont aussi des plaisirs. Quand ça s'évanouit et que tout se perd, c'est le désir des yeux ou leur consentement. Les yeux aiment à jouer la vie la mort dans l'indistinct. D'un chaos, ils voudraient faire une image et telle qu'eux-mêmes y soient mêlés, telle qu'ils n'en soient pas distincts. Ça peut leur venir d'une angoisse; pour eux, c'est au moins un vertige. De l'effacement des marques, de ses effets, on parle pourtant avec douceur.
Voici des peintres fascinés par le sable et le trouble des yeux. Jean Dubuffet observe sur les dunes le passage de l'empreinte à la trace, puis à rien ou à tout. Il parle du désert saharien. Pour Piet Mondrian, pour André Masson, ce furent les dunes de la mer et les plages.
Ici et là : le sable où l'on ne séjourne pas. On y passe, on y laisse des traces fragiles; ou c'est le vent. Aussi le sable n'est-il ni tout ni rien. Sa multitude et son indistinction ne restent jamais sans marques, même si ces marques sont rnobiles. Quand des dunes s'éboulent ou que le vent souffle, l'effacement des marques, la venue d'autres rides, se succèdent dans un mouvement incertain. Ça fait un va-et-vient. Le sable est un lieu équivoque, marqué et non marqué, toujours à la limite du visible et de l'invisible.
Voici des peintres fascinés par le sable et le trouble des yeux. Jean Dubuffet observe sur les dunes le passage de l'empreinte à la trace, puis à rien ou à tout. Il parle du désert saharien. Pour Piet Mondrian, pour André Masson, ce furent les dunes de la mer et les plages.
Ici et là : le sable où l'on ne séjourne pas. On y passe, on y laisse des traces fragiles; ou c'est le vent. Aussi le sable n'est-il ni tout ni rien. Sa multitude et son indistinction ne restent jamais sans marques, même si ces marques sont rnobiles. Quand des dunes s'éboulent ou que le vent souffle, l'effacement des marques, la venue d'autres rides, se succèdent dans un mouvement incertain. Ça fait un va-et-vient. Le sable est un lieu équivoque, marqué et non marqué, toujours à la limite du visible et de l'invisible.
Aussi, parmi tous les déserts, le Désert, tel qu'on l'imagine, est de sable : le sable fait du désert une image de l'infini telle que les yeux aiment à l'imaginer. Les yeux désirent aller vers un point nul de visibilité. Ils cherchent un lieu qui serait indifféremment vide ou plein. Ce lieu, ils ne l'atteignent pas, c'est un imaginaire. Ils s'y portent pourtant. Ils cherchent à défier ce neutre qui les menace d'aveuglement. Puis ils reviennent à soi. Ces mouvements inversés sont sans fin. Ils miment les va-et-vient des rides sur le sable. Les yeux en tirent un plaisir. "
Marc Le Bot L'oeil du peintre, Gallimard collection Le Chemin 1982.