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vendredi 4 mars 2011

Le tableau nous ôte la parole ?

Couverture du catalogue des œuvres graphiques de G. Perros, Musée des Beaux-Arts de Bordeaux 2005.

IV
Le tableau nous ôte la parole — ô ces gens qui parlent devant un tableau — mais c'est pour nous la rendre. Un peu changée, c'est presque imperceptible. On ne peut plus écrire, souhaiter de le faire, dans le même angle. De cer­tains poètes contemporains, on peut jurer que la peinture a fait basculer leur langage dans une région que le peintre habite. Je pense à Reverdy, à Breton, à Paulhan, à Ponge, à Leiris, à Mandiargues. Voilà de grands jaloux, dont le martyre d'écrire a été atténué, enchanté, par leur fréquen­tation des ateliers, les amitiés qui s'ensuivirent. On ne pourra décrire l'histoire de notre temps intellectuel sans souligner l'importance de ces rencontres, de ces liaisons, de ces dialogues entre peintres et poètes, dialogues à sens unique, si l'on peut dire, le peintre n'éprouvant aucun complexe au contact froid des mots. Heureux peintres !

V
La peinture, dit ma voisine, ça défatigue.
VI
S'il ne devait plus rester qu'une chose au monde, après je ne sais quelle catastrophe, je voudrais que ce soit un tableau, et qu' à partir de ce tableau, le monde, à nouveau, s'élance. Le peintre est un réparateur, il bricole la Création, jaloux, à son tour, de ces mille objets dans le cœur desquels Dieu s'est caché. Quel incognito !



Georges Perros, Papiers collés 2



agrafage original de STAIVE





Et pour prolonger ce texte de Georges Perros, c' est ici !

34 commentaires:

  1. Curieux ce collage… Ys perdue ?… Je ne l'imagine pas avec ces colonnes…

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  2. Si je retiens la leçon,je resterai muette...comme une carpe!

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  3. Oui c'est vrai que la peinture est apaisante et que sa reflexion ne passe pas par les mêmes canaux que ceux de l'écriture.Thibaut De Réimpré disait ,avec un zest d'humour,que, lorqu'il est en train de peindre ,c'est "encéphalograme zéro", c'est à dire qu'il assiste à une liaison directe entre l'oeil et sa main.J'irai même jusqu'à croire que la ligne ou la construction géométrique se développe au détriment de la sensibilité à la couleur et de ses infinies variations chromatiques (et réciproquement).
    Si le peintre avait effectivement de quoi vivre, on pourrait à coup sûr parler de ses " heureux problèmes du peintre..."

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  4. Bonjour mime, femme, homme ?... Nous sommes dans l' interpolation des images...la mer, comme un réceptacle visuel et amniotique aux poissons de Geoges Perros ?
    Il y a aussi l' idée de ces blocs témoins de l' histoire antique qui reposent incognito au fond de la mer et qui peut-être un jour reviendront à la surface !
    Discours muet, en attente de parole.

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  5. Orfeenix, vous avancez plutôt avec l' élégance d' une truite fario, mais vous ne finirez pas à la casserole, je vous le jure!
    Et puis, de regarder un tableau nous fait discourir autrement, " à peine perceptible " nous dit Perros.
    A bientôt !

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  6. De façon " à peine perceptible ", bien sûr !

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  7. Merci de votre témoignage de peintre Simon Gaetan!
    Un des paradoxes que l' on peut relever chez le peintre, c' est qu' il manie des matériaux et que son action passe par une concentration du corps et de ses effets. " Tout est allumé " chez lui, pour reprendre le titre d' une exposition de Gérard Fromanger. Et cette tension est souvent un moment d' ataraxie.
    Une assuétude complète se développe souvent alors.
    ( Dois-je dire ici que c' est mon cas?)
    Bonne journée !

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  8. j'aime bien l'association Klee-Prevert...et cette image qui illustre le poème de Prévert, où dans cette peinture Paul Klee a enfermé l'oiseau dans la tête du chat, comme cela personne n'entendra plus chanter l'oiseau.( de quoi nous ôter la parole!)

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  9. Eh oui Gwendoline, et si on entend plus chanter l' oiseau on pourra dire que l' on a un chat dans la gorge ! ( Et on peut continuer à l' infini ).
    Il ne faut surtout pas en faire des gorges chaudes !

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  10. Ce blog me défatigue et l’enthousiasme y est roboratif. Merci.

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  11. Bon, si Bleu voit tout en bleu, on est heureux !

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  12. "le peintre est seul a avoir droit de regard sur toute chose sans aucun de voir d'appréciation...sans autre technique que celle de ses yeux et ses mains se donnent à force de voir, à force de peindre"

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  13. Jusqu'où allez-vous nous emmener JMS ? Ceci dit j'aime les longues randonnées et vous me semblez être un excellent compagnon de "marche". Je dis "jusqu'où" car voici que vous enchaînez, à la suite de "l'oeil..." sur le dessin/peinture qui nous rend la parole superflue. Peu importe donc le territoire de la langue à laquelle on appartient, l'art pictural (j'ajouterai musical) est oecuménique. Quel beau territoire à partager. Merci, c'est bien nourrissant chez vous.

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  14. Belle affirmation Laurence, du côté de l' acteur ! Mais il nous faut aussi considérer la signification d' une image, qui est grandement tributaire de l' expérience et du savoir qu' à acquis antérieurement la personne qui la regarde.
    Sous ce rapport, l' image visuelle n' est pas une simple représentation de la " réalité ", mais un système symbolique.
    Bon week end !

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  15. La peinture ( la photographie, etc...) Frederique, nous rend la parole " un peu changée " nous dit georges Perros. Et ce peu, ce n' est pas rien ! C' est même énorme face à un silence qui parle !
    Car je me suis posé la question : ne pas parler ce n'est pas ne pas questionner l' œuvre contemplée ou admirée.
    Deux questions se dégagent ici. D' abord, qu' en est-il du silence du peintre et ensuite la peinture nous interdit-elle de parler ?
    Vous voyez bien Frederique que je veux vous amener nulle part ! C' est vous qui posez, avec les autre acteurs de ce blog, les questions et y répondez à votre manière !
    Très bon week end.

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  16. Tout un univers dans un tableau... un poème, une oeuvre (?)... à découvrir. Avec effectivement (même si comme l'aurait dit Reverdy "à cloche coeur") un sentiment d'apaisement qui nait, de la contemplation et de la réflexion.

    Merci... pour cette mise sur le chemin.

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  17. Après la catastrophe ? Il ne restera toujours qu’un tableau, celui imprimé à jamais en chacun, dans son cœur, son âme, sur sa rétine, je ne sais, c’est selon ce que chacun croit, mais qui coulera de nouveau au bout du pinceau de l’artiste qui racontera l’histoire, la grande et la petite, les petites. Parce que créer c’est toujours repartir (répartir ?) de ces milles objets dans le cœur desquels Dieu s'est caché.
    Et surtout par consolation. Et pour éviter le cri.

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  18. la peinture à l'huile
    c'est bien difficile
    mais c'est bien plus beau
    que la peinture à l'eau
    (Poil au dos)

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  19. Bon, on accepte la pensée TG ..V ...C' est rapide, efficace et rigolo. Les ritournelles, ça fait partie du bonheur de peindre et il ne faut surtout pas s' en priver !
    Bonne journée!

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  20. Ötli, il m' est arrivé de rester devant des œuvres longtemps sans dire un mot, comme cela a sûrement été le cas pour vous, je suppose.( Rothko au Musée d' art Moderne de Paris par exemple ).
    Je pense aussi au très beau récit de Michel Butor qui concerne la fameuse chapelle non confessionnelle dans laquelle Rothko à installé ses tableaux. Et la contemplation quotidienne et muette du gardien des lieux.
    Là, beaucoup de paroles non dites !
    Bonne journée !

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  21. Rothko au Musée d'Art Moderne de Paris ne tolérait pas un mot. Nous n'étions pas devant des tableaux, des surfaces, mais devant des espaces, des invitations à rentrer dans les tableaux,à les pénétrer, à nous balader en profondeur dans la transparence de la couleur/matière, avec une gourmandise étrangement troublante.
    Il ne fallait pas parler, seulement marcher.
    Dans le plaisir.

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  22. J' aime votre réflexion Artémisia !
    Sans y toucher, vous mettez le doigt sur le problème de " l' invisible " dans le visible.
    Pour Perros, " l' incognito ", on ne sait ?
    ( Rappelons-nous le besoin d' incognito de l' art énoncé par Dubuffet ).
    J' en reviens à Rothko.( Dieu caché ?).
    " Mais il n' y a pas de signes ou d' images dans la chapelle, qui n' appartient plus à aucun culte précis et défini. Chaque religion a une conception et une révélation de Dieu, à travers les histoires et les images, qui ont pour fonction aussi d' en domestiquer l' idée, d' apaiser les relations avec le monde et de rendre possible la vie sociale. Mais " la déité ", selon la parole d' Eckhart, n' a plus rien d' un Dieu et n' en connait rien, pas plus que le Soi, ouvert à l' infini, vide et obscure, ne sait rien d' un moi."
    Y. Ishaghpour, Rothko, Farrago éd.

    ..." Sérénité au bord de l' explosion ", on sait comment cela s' est terminé chez Rothko.
    A bientôt!

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  23. Même pas le temps de vous répondre Arthémisia que vos derniers mots apparaissent !
    Il y a effectivement une matérialité chez Rothko, une liaison avec l' humain.
    " Regardant les dernières œuvres de Reinhardt, Rothko aurait dit : " J' aurais dû les peindre... La différence entre moi et Reinhardt, c'est qu' il est un mystique. J' entends par là que ses peintures sont immatérielles. Les miennes sont ici.
    Matériellement. Les surfaces, le travail de la brosse et ainsi de suite. Les siennes sont intouchables. " (Ishaghpour, opus cité, page 122 ).
    Bien à vous.

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  24. Jeune homme à la tête de mort (Cézanne, 1895 ou 1896)
    C'est l' exemple d' une image silencieuse. Elle résonne de silence : silence du crâne et aussi de la bouche du jeune homme.

    http://commons.wikimedia.org/wiki/File:Paul_Cezanne_Jeune_homme_a_la_tete_de_mort.jpg

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  25. L'agrafage si beau me fait penser de La Grece ancienne, les colonnes qui se noyent...mais hors le temps ("timeless").

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  26. Tout à fait d' accord avec vous Deborah !
    Ces colonnes englouties sont les cénotaphes de paroles immémoriales. Elles détiennent le pouvoir de lester ou de lâcher la parole. Elles sont les vestiges de notre histoire réelle et imaginaire.
    A bientôt !

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  27. En lisant votre commentaire déductif sur les ''orgues rocheuses'' présentes dans votre bel agrafage, on est invité à ''saisir l'instant qui tremble au mikado des mots'' (François de Cornière).

    Le silence, oui, parfois à tenir et maintenir devant un tableau, mais aussi toujours à rompre avec discernement, restant en éveil, et aussi à l'écoute de l'interrogation du peintre et du ressenti du poète qui a noté :

    «  . . .

    ► '' Ce qui m'effraie, disait Miro, c'est que mon oeuvre sente un jour la charogne ''

    Aucun risque : elle sentira toujours l'enfance, les belles saletés de l'enfance.
    Fascinants ''collages préparatoires'' de Miro pour ses peintures de 1933. Pratique géniale, enfantine et têtue, totalement poétique. L'enfant colle ses gommettes sur du papier et de fabuleux palais, des phénomènes cosmiques jamais vus éclosent dans l'air où jouent toute pensée et toute impensée. 

    ► Chaque grand tableau est d'abord une énigme. Ensuite c'est de la peinture.

    ► Toucher la peinture, regarder de quoi sont faits matériellement les rêves.  »

    Pierre Peuchmaurd, Le pied à l'encrier (Recueil de notes) - Editeur Les loups sont fâchés

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  28. @ Isabelle d' Albe,
    J' apprécie beaucoup vos prolongations de pensées !

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  29. Dubuffet n'était pas commode…
    (vous pourrez appréciez un fois de plus par ce commentaire, ma précieuse et essentielle participation aux débats…)
    Amitiés

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  30. Bonjour TG !
    Effectivement il n' était pas commode ( mais passionné et attentif à la pratique des marginaux de l' art officiel ! ) mais il n' a jamais eu le cul entre deux chaises !
    Il savait ce qu' il voulait ! ;)

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  31. J'ai mis longtemps à remarquer les "agraphages". Je trouve votre choix de couleurs et motifs très élaborés. D'où vient le processus? :-)

    Bien à vous.
    Lise

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  32. Le processus est assez simple. Comme le collage demande un positionnement précis et un encollage méticuleux, l' agrafage lui, ne demande qu' un positionnement rapide et répond à une simultanéité de vision. Une fois posé, on agrafe !
    Il arrive parfois au cadrage que les agrafes ne soient pas visibles. Travail rendu efficace avec l' emploi du scanner et de l' internet. Ce sont souvent des créations instantanées pour le besoin du message.( Mais la pratique est un travail régulier ).
    J' espère que ces explications vous ont satisfaite.
    A bientôt !

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  33. Ces tableaux sont prémonitoires quand on sait que son cancer de la gorge l'a condamné à l'ardoise magique que bientôt il abandonna souffrant de ne pouvoir remplacer la parole par ces petits mots écrits... Alors il y eut le silence , la solitude puis la mort...

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  34. Merci de votre petit mot Christiane..et de votre visite!

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