traduire/translate

samedi 30 mai 2015

La pensée éolienne de la peinture





" Au commencement de toute peinture, il y a l'espace. On s'y oriente par la pensée, latéra­lement et en profondeur, pour s'ouvrir à quelque chose dont l'espace réel ne peut rendre compte : l'activité mentale de celui qui se dit, ou qui se montre peintre. Regarder les ta­bleaux d'un homme pour la première fois, c'est le rencontrer, l'entendre parler, le voir agir dans sa propre pensée. Cela exige une attention très particulière, où la moindre erreur d'interprétation risque de fausser complètement la perspective dans laquelle on perçoit les tableaux. Le peintre nous les révèle un à un, page par page, et les constitue ainsi en séries, qui s'articulent parfois en discours. La conclusion est donnée, provisoirement, par les ta­bleaux dits récents, que l'on oppose aux anciens comme la maturité à l'adolescence, à l'enfance. Ainsi se forme l'image globale d'un peintre, somme provisoire de ses œuvres, et c'est pour lui donner une chance supplémentaire d'exister qu'on en parle, qu'on en écrit. A propos d'une exposition, par exemple.











Ce système a ses défauts et ses avantages, comme tous les systèmes : il oblige à la célébra­tion systématique, favorisant du même coup la contradiction polémique de la critique. Mais il permet au peintre de faire d'autres rencontres, et d'entamer une nouvelle espèce de dialogue que celui qu'il a amorcé par ses tableaux avec son entourage immédiat. Dans la situation qui est ici la mienne, où le présentateur parle d'un peintre qui n'a jamais fait d'exposition particulière, les mots prononcés sont d'autant plus dangereux qu'ils risquent d'être repris paresseusement par d'autres. Ils marquent en tout cas, et parfois de manière négative, les débuts d'une aventure qui a besoin de liberté pour se poursuivre. Le poids des mots dévie la pensée éolienne de la peinture."

Alain Jouffroy





in LES ÉCRITURES, Centre national et de culture Georges Pompidou Paris 1978.
Jacques Bremond éditeur.




L' ensembles des photographies Versus.

9 commentaires:

  1. La peinture ouverte à tous les vents?

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Si c' est d' être ouvert à tous les vents de la critique et d' énoncer l' inutilité de la critique d' art, on peut certes ouvrir le débat...

      Supprimer
  2. Par exemple cet article récent à propos de l' inutilité de la critique d' art par Anne Malherbe :

    http://anne-malherbe.com/linutilite-de-la-critique-dart/

    RépondreSupprimer
  3. Il est bon de penser que dans ce monde de l'image, les mots ont encore du poids... Quand bien même ils en reviennent à parler des images ;)

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Selon notre auteur les mots "déposés" sur la peinture peuvent être aussi "négatifs", la détourner de ce qui fait sa spécificité, l' orienter vers ce qui n' est pas elle (marquant par là même une certaine forme d' essentialisme)?

      Supprimer
  4. " Au commencement de toute peinture, il y a l'espace. On s'y oriente par la pensée, latéra­lement et en profondeur, pour s'ouvrir à quelque chose dont l'espace réel ne peut rendre compte : l'activité mentale de celui qui se dit, ou qui se montre peintre. "

    Cela est très bien mis en scène par votre photographie des miroirs, chacun d' entre eux nous renvoie à une possible bifurcation, à une vue imprenable dans l' espace. Là où les mots interviennent si peu mais quand il le feront, cela pourra nous entrainer dans le vertigineux d' une lecture sans fin.

    RépondreSupprimer
  5. Redoutables, les mots face à une œuvre d'art. L'art n'utilise-t-il pas justement un autre langage pour aller au-delà des mots ?

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Exactement Christiane et l' on pourrait énoncer cela par :" le poids des mots, la fluidité des photos ( ou de la peinture, des images.)
      Les mots sont un défi par leur déviance à la peinture qui ne demandait rien.
      D 'où l' impuissance mais aussi très paradoxalement, l' importance des mots que nous employons pour décrire une peinture.

      Supprimer
    2. Vous êtes comme un guetteur dont la vigilance est extrême, scrutant les expos, les œuvres, les livres. Les cernant, ici, par les mots, éprouvant vos lecteurs et en haut , à gauche, nous interrogeant par vos propres créations.
      L'innommable... passer d'abord par l'épreuve de l’œuvre...

      Supprimer

Merci de votre passage et de votre éventuel commentaire.Vous participez ainsi au dialogue et à l'échange sur ce blog!