traduire/translate

lundi 13 février 2012

Du plaisir, encore.

Photo Versus 2012.


Première constatation : l'œuvre de Francis Ponge me concerne, elle me regarde. Elle me parle de (et je sais bien tout ce qu'il y a d'« à contre courant » dans cette expres­sion « elle me parle de ») la cigarette qui est dans mon pa­quet. Du verre d'eau qui est devant moi. Du savon avec lequel je me lavais ce matin. De la serviette éponge que j'utilisais sur la plage hier. De la pluie qui tombait l'au­tre soir. Du pré qui est en bas du château de Cerisy. De la crevette et du plat de poissons frits que je trouvais sur ma table en passant de Bretagne en Normandie. Et même d'objets comme le téléphone que je manipulais il y a un instant. Et aussi de ce pigeon qui s'est posé au-dessus de la bibliothèque hier après-midi.
Tout cela, c'est une fête. C'est la fête. Et je suis bien d'accord pour dire que c'est d'abord une fête de l'écriture et du langage. Et que la signature de Francis Ponge y est au centre.

Mais c'est aussi autre chose.
On lit dans Pour un Malherbe : « La poésie est un élément du monde con­cret, du monde de tous les jours. Ainsi se justifie-t-elle ». Et dans le texte, déjà plusieurs fois cité, Raisons de vivre heureux : « L'on devrait pouvoir à tous poèmes donner ce titre : Raisons de vivre heureux. Pour moi du moins, ceux que j'écris sont chacun comme la note que j'essaie de prendre, lorsque d'une méditation ou d'une contemplation jaillit en mon corps la fusée de quelques mots qui le ra­fraîchit et le décide à vivre quelques jours encore.
Si je pousse plus loin l'analyse je trouve qu'il n'y a point d'autre raison de vivre que parce qu'il y a d'abord les dons du sou­venir, et la faculté de s'arrêter pour jouir du présent, ce qui revient à considérer ce présent comme l'on considère la première fois les souvenirs : c'est-à-dire garder la jouissan­ce présomptive d'une raison à l'état vif ou cru, quand elle
vient d'être découverte au milieu des circonstances uni­ques qui l'entourent à la même seconde. Voilà le mobile qui me fait saisir mon crayon (Étant entendu que l'on ne désire sans doute conserver une raison que parce qu'elle est pratique, comme un nouvel outil sur notre établi) ». Voilà ce qui me pousse à dire que Francis Ponge est pro­bablement le seul « poète » à avoir vérifié et illustré d'une façon radicale cette règle qu'Eluard empruntait à Lau­tréamont, mais qu'il posait plus qu'il ne l'appliquait : La poésie doit avoir pour but la vérité pratique.

Raymond Jean

Extrait en prépublication du Colloque Francis Ponge à Cerisy en 1975 revue SUD n° 16.








Ici, l' édition originale de Comment une Figue de paroles et Pourquoi de Francis Ponge, éd. Digraphe Flammarion 1977.






 En suivant, l' édition du numéro 1 de la revue Tel Quel dans lequel fut publié pour la première fois un extrait de La Figue(sèche) de Francis Ponge.



Collection Versus pour ces trois ouvrages.

28 commentaires:

  1. ... et l'on devrait pouvoir donner à vos posts le même titre de raisons de vivre heureux.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Cela devrait être une constante en ces temps de crise!

      Supprimer
  2. Ponge, ce n'est pas facile. Il use son écriture sur la répétition jusqu'à trouver au plus près ce moment où ça nait, le contact visuel qui se fait mot, mot qui devient la chose vue, mot que nous lisons comme autant de réalité de la chose vue. Cette étonnante rencontre avec la langue de Malherbe c'est cette économie de la langue, cette précision, cette liberté aussi de ne pas écrire ce qu'on ne veut pas écrire. Ponge... Je relisais les multiples écritures de la "figue" et je voyais se superposer mille lignes d'écriture comme autant d'esquisses jusqu'au fruit en sa plénitude.
    Cette revue "Sud" est un bijou et cette réflexion de Raymond Jean doit donner dans sa totalité des raisons d'inscrire le "vivre heureux" avec ses crayons....

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Dans son Avant-propos de "Comment une figue de paroles", Francis Ponge écrit: " Auguste voulait qu' on usât de fréquentes répétitions plutôt que de laisser quelque péril d' obscurité dans le discours."
      Bonnes résolutions!
      (Je vous mets en ligne la couverture de l' édition originale courante de la Figue ainsi que le numéro 1 de Tel Quel dans lequel est paru pour la première fois La Figue(sèche).

      Supprimer
  3. Christiane, je réponds à votre courrier reçu tard en matinée.

    RépondreSupprimer
  4. merci pour ces passerelles (sur vos deux blogs). Belle soirée. je regarde un petit ours blanc qui voit la vie en rose...

    RépondreSupprimer
  5. Réponses
    1. Bonjour énigmatique modna50 et bienvenue!
      Pensierino m'évoque les chansons de Marino Marini que mes parents écoutaient(et moi aussi par la même occasion) lorsque j'étais enfant..
      Chè bella pensè che ai, me la dai?

      A presto allora!
      Je ne comprenais pas toutes les paroles mais l' air me trottait dans la tête.
      http://www.musicme.com/#/Marino-Marini/albums/Marino-Marini-0743218517426.html?play=0743218517426-01_12

      Bon Ponge est un peu loin!

      Supprimer
  6. A droite, les sculptures de Jean Suzanne c'est très très fort. Qui est-ce ?

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Quelques renseignements ici:

      http://galerielecadrecahors46.blogspot.com/

      http://www.jeansuzanne.com/

      Supprimer
  7. Oh merci! sacré bonhomme. Créations époustouflantes. Tellurique...

    RépondreSupprimer
  8. Merci pour cette découverte versubil. Je dois confesser une ignorance totale de l'oeuvre de Ponge (dont seul le nom me parle). Cette exploration des objets de la vie quotidienne est fort intrigante. Voilà une nouvelle signature qui attirera mon oeil sur les étals des bouquinistes.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Merci d'être passé par ici Phil Dos!

      J' attends votre prochaine visite avec plaisir!
      (Je constate pour ma part ma propre ignorance en lisant les blogues qui m'intéressent..effarant!)
      Il nous reste du pain sur la planche et sans trop surfer,c'est bien ainsi,n'est-ce pas?
      A bientôt.

      Supprimer
  9. Le secret du bonheur!M. Ponge que je découvre, le connait-il ?

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Le secret du bonheur?..Je ne sais trop. Par contre toute son œuvre est une recherche du bonheur.
      Le bonheur par l'écriture, par la pratique de l'écriture.Parfois le chemin est ardu, difficile et semé d'embûches...
      D'où sa pratique du dictionnaire dans le sens où il l'écrit dans La Fabrique du pré,"Skira" Les sentiers de la création,1971.
      "En somme,les choses sont,déjà,autant mots que choses et, réciproquement,les mots,déjà sont,autant choses que mots.C'est de leur copulation, que je réalise l'écriture(véritable ou parfaite):c'est l'orgasme qui en résulte,qui provoque notre jubilation."

      Supprimer
    2. D'ailleurs trouverait-on exagérée cette métaphore que l'on citera le fameux poème "Le mot et la Chose" du Chanoine Lattaignant (1697-1779).

      LE MOT ET LA CHOSE

      Madame quel est votre mot
      Et sur le mot, et sur la chose ?
      On vous a dit souvent le mot
      On vous a fait souvent la chose.
      Ainsi de la chose et du mot
      Vous pouvez dire quelque chose
      Et je gagerais que le mot
      Vous plaît beaucoup moins que la chose.
      Pour moi, voici quel est mon mot
      Et sur le mot, et sur la chose :
      J'avouerai que j'aime le mot
      J'avouerai que j'aime la chose
      Mais, c'est la chose avec le mot
      Mais, c'est le mot avec la chose
      Autrement, la chose et le mot
      A mes yeux, seraient peu de chose.
      Je crois même, en faveur du mot
      Pouvoir ajouter quelque chose ;
      Une chose qui donne au mot
      Tout l'avantage sur la chose :
      C'est qu'on peut dire encore le mot
      Alors qu'on ne fait plus la chose
      Et pour peu que vaille le mot,
      Mon Dieu, c'est toujours quelque chose !
      De là je conclus que le mot
      Doit être mis avant la chose
      Qu'il ne faut ajouter au mot
      Qu'autant que l'on peut quelque chose
      Et que pour le jour où le mot
      Viendra seul, hélas, sans la chose,
      II faut se réserver le mot
      Pour se consoler de la chose.
      Pour vous, je crois qu'avec le mot
      Vous voyez toujours autre chose.
      Vous dites si gaiement le mot,
      Vous méritez si bien la chose,
      Que pour vous, la chose et le mot
      Doivent être la même chose.
      Et vous n'avez pas dit le mot
      Qu'on est déjà prêt à la chose.
      Mais quand je vous dis que le mot
      Doit être mis avant la chose
      Vous devez me croire à ce mot
      Bien peu connaisseur en la chose.
      Eh bien, voici mon dernier mot
      Et sur le mot, et sur la chose :
      Madame, passez-moi le mot
      Et je vous passerai... la chose.

      Chanoine Lattaignant (1697-1779)

      Supprimer
  10. anche io sono convinta che possa essere poesia ogni oggetto e gesto della nostra quotidianità.
    Grazie per la visita e la fiducia.
    ciao

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Bienvenue sur ce blog et belle fin de soirée Rita!
      Que de mots pour si peu de chose,un bonsoir!

      Supprimer
  11. La fille sèche qui passe l'éponge ...

    J'adore Francis Ponge, tel quel.

    Lui qui décortique les realia comme personne ...

    Pensées pot-éthique ! Versus

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Formidable,nous sommes deux à "l'adorer",alors!

      (Et beaucoup d'autres encore!)

      Supprimer
  12. Au fait, auriez-vous le goût de répondre chez moi au jeu des onze confidences ? J'aimerais vous connaître, sourire

    RépondreSupprimer
  13. "La poésie doit avoir comme but la vérité pratique"... voilà une bien jolie définition, qui n'est pas partagée par tout le monde...
    ce qui en fait toute sa richesse...
    en tout cas je me sers souvent de la poèsie pour expliquer à une enfant petite, 3 ans, (l'age des vrais apprentissages)...que des gens peuvent penser différemment que ce qui lui est enseigné..."l'homme qui croyait au ciel et celui qui n'y croyait pas"... voila bien la vérité pratique... de l'espace poètique...l'oeil polychrome au service de l'humanité...

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. La poésie c' est aussi une lucidité de regard face au monde.Extralucide parfois..

      Supprimer
  14. "La poésie doit avoir pour but la vérité pratique"
    Voilà le contraire de ce que des nombreux "poètes" ou se disant poètes ont prétendu démontrer dans leur oeuvre, se sentant investis d'une mission de sublimer le réel et les objets.
    Et pourtant plus qu'une vision des choses la poésie est un vécu à travers les choses, vécu subjectif s'exprimant à travers la sensibilité de celui qui écrit et de celui qui lit et ressent.
    Enfin, je ne suis pas spécialiste, je ne suis pas poète et si j'écris ce n'est que par impulsion quand les choses se sont imprégnées de mon esprit sans que ma volonté y soit pour quelque chose.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Oui, Saravati, mais si la poésie est un vécu à travers les choses elle est aussi tributaire du langage...
      C' est une "rage" pour Ponge que cette "expression"!
      Il va chercher dans les dictionnaires.
      Bien à vous.

      Supprimer

Merci de votre passage et de votre éventuel commentaire.Vous participez ainsi au dialogue et à l'échange sur ce blog!