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mercredi 22 janvier 2014

Un chant s' élève de chaque objet.





" Un chant s'élève de chaque objet. L'ar­tisan y a enfermé un peu de son corps qui avait bien connu l'amour, puis avait porté longtemps une maladie, à moins qu'il ne se fût simplement éteint de vieil­lesse. Chant du bois, de l'acier, du cuivre. On entend à travers les siècles ricaner les bourreaux, les filles rire d'une voix sauvage, les folles bêler, l'enfant gazouil­ler. L'objet ne s'évanouit pas. On trouve de si multiples choses dans les poches des voyageurs : des canifs, de petits car­nets, une minuscule vis oubliée lors d'un démontage, un bout de ficelle entortillé, quelques graines de carottes ou de panais, de ces mêmes graines que l'homme, alors sédentaire et courbé vers la terre lançait dans  le petit sillon qu'il avait creusé dans la plate-bande de l'enclos. Devant les yeux du promeneur, l'horizon se dilue. Lui porte en tête maint secret, des restes d' amour, des désirs un moment consistants, mais qui s'évaporent tandis que l'objet, même s'il l'a oublié, reste en poche comme un talisman. Fouillant un jour les vieux vêtements dans lesquels notre corps alourdi et guetté, fût-ce de très loin par la mort, n'entre plus, on retrouve le rouage d'une frêle machine dont on doit faire effort pour retrouver l'usage. On le retourne longtemps entre ses doigts alors qu'au loin se couche un soleil d'histoire. "

Jean Follain TOUT INSTANT Gallimard 1957.















Photos 1 à 3 Versus
Photo 4, Jean Follain édition originale de 1957, coll. Versus.

24 commentaires:

  1. Magnifique texte surtout pour les amoureux des objets qui ont vécu.

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  2. Ce sont surtout tes superbes photos qui les font chanter, en général, ils ne me disent rien!

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    1. Et les clous qui fulgurent, alors?
      ( L' image est de Jean Follain.)

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  3. fagus silvatica pour ces "roulettes à pizza" et la "molette à ravioli" j'ai les crocs.
    Bzzz...

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    1. Les objets mis en tas comme déclassés de leur utilité...

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  4. Les roulettes à merveilles, c' est ce qui me fait le plus rêver!

    Dorothée P.

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  5. Me reviennent en tête ces mots de Lamartine... "Objets inanimés, avez-vous donc une âme qui s’attache à notre âme et la force d’aimer ?"...

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    1. Eh oui, la poésie et l' objet, voilà un objet d' étude par le biais de l' expression poétique!
      De Lamartine aux surréalistes et leurs objets poético-plastiques à Ponge/Follain/Guillevic, beaux débats esthético-littéraires en perspective!

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  6. Des objets comme des traces, absence-présence, qui disent de ceux qui ne sont plus, parfois plus que des mots ou des photographies. Par eux, on remonte aux gestes, aux mains, aux êtres mais aussi à un monde enclos entre travail, loisir et talisman, mais aussi à l'Histoire qui permis aux hommes d'améliorer les outils et les gestes, laissant en ceux du passé parfois un peu de mélancolie.
    Je me souviens avec émotion dans une vitrine du mémorial de la Shoah du crayon et du canif d'Hélene Berr posés à côté de son cahier, ouvert.

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    1. " Un soleil d' histoire " face à l' objet, écrit intuitivement Jean Follain.
      Il y va comme du " traitement " de l' image comme celui d' un objet.

      Entretien :

      - Votre réflexion sur l'image multiple et spectrale illustre-t-elle une crise de l'aura, de la présence et aussi de la forme ?

      C'est la grande question. On retrouve aujourd'hui les débats qui ont opposé, pendant des siècles, le platonisme et l'aristotélisme : dans la perspective platonicienne, le visible (le sensible en général, opposé à l'intelligible) est une réalité moindre, une apparence subordonnée à l'essence, en sorte qu'une image sera la réalité encore moindre d'une réalité moindre, bref quelque chose de minable et de mensonger, un artifice éloigné de toute vérité. Dans la perspective aristotélicienne au contraire, l'image est une donnée anthropologique fondamentale, elle est nécessaire, y compris dans l'exercice de la pensée la plus abstraite. Si nous regardons comment les choses se passent en général, nous sommes tentés d'être plato­niciens, parce que l'usage des images aujourd'hui est terrifiant, mensonger, superficiel, étouffant. Mais on peut dire la même chose de l'usage des mots. Alors, on ne va pas se passer des mots pour autant : on va tenter de trouver les bons mots contre les méchants, les phrases qui ouvrent le monde contre celles qui le referment. C'est pareil avec les images : l'acte de les voir n'est pas « ouvert » en soi, il est « ouvrable », si vous décidez de travailler un peu votre propre acte de regard.
      .../...

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    2. ( suite)

      - En 2011, lors de votre visite au camp de la mort d'Auschwitz-Birkenau, vous rapportez un récit fait de textes et d'images sur les baraquements, les barbelés, les lieux d'exécution. Écorces s'ouvre sur la photographie de trois petits bouts d'écorce arrachés aux bouleaux de Pologne. Les écorces sont-elles finalement les témoins muets de l'histoire ?

      On ne saisit pas l'insaisissable, si le verbe « saisir » veut dire posséder, enfermer, dominer. On n'imagine pas l'inimaginable, si le verbe « imaginer » veut dire donner en représentation l'intégralité d'une réalité, autre façon de la posséder, de l'enfermer, de la dominer. Ima­giner est notre privilège, mais ce n'est pas un privilège qui nous assurerait le pouvoir sur les choses. C'est même un douloureux pri­vilège, bien souvent. De l'histoire, en tout cas, nous n'avons que des « écorces », des bouts, des surfaces, des petites peaux - pellicules, images - qui ont, un jour, adhéré au réel... À Birkenau j'ai refait un chemin que je connaissais par l'étude, à savoir le travail de mon livre Images malgré tout et qu'une certaine émotion guidait sans aucun doute. Faire des photos, c'était faire comme tout le monde dans ce lieu de pèlerinage - historique en tout cas, religieux pour certains, touristique pour d'autres -, c'était aussi faire quelque chose avec mon impossibilité de trouver le geste juste dans ce lieu. Et puis je fais beaucoup de photographies, par nécessité professionnelle comme selon l'injonction de Walter Benjamin qui disait qu'un écri­vain, aujourd'hui, doit savoir prendre des photographies. Ce sont les images qui ont, après coup, décidé qu'un texte pouvait exister. Elles occupent d'ailleurs, dans le livre, la place habituellement occu­pée par les titres de chapitres. Vous-même, concevez-vous l'écriture à la manière de l'artisanat, comme un assemblage de mots et d'images, un montage fait de croisements et de heurts ? Oui, l'écriture est un artisanat. Le savoir est un artisanat. Ce ne sont ni des sacerdoces à exercer dans des cathédrales ni des industries à exercer selon des programmes de recherche. On cherche, on trouve autre chose que ce qu'on cherchait, mais la déception peut faire place à une chose inespérée. On fait avec. On compose ses ques­tions de longue durée - ses idées fixes - avec ce qui se présente soudainement, qui n'était pas prévu. On fait des montages. On regarde ce que cela donne. On s'approche (trop près, le phalène s'embrase) et on s'éloigne, alternativement (trop loin, le phalène disparaît). C'est le risque et c'est le rythme de la recherche, simple­ment la recherche,."

      Entretien avec Georges Didi-Huberman

      Janvier 2014 n° 539 Le Magazine Littéraire

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    3. Une parole forte, ce texte de Georges Didi-Huberman...
      Il me semble qu'entre l'objet et nous, l'image et nous, il y a une frontière, chacun étant dans "sa peau". Il faut beaucoup de renoncement à être, faire le creux, le vide, pour accepter l'échange (Ponge) entrer dans le poreux de l'objet, de l'image et accepter de se "chosifier " un peu pour l'accueillir. C'est un échange redoutable et doux, terrible parfois (ces écorces de Birkenau, ce canif, ce ce bout de crayon). Et puis l'écriture, l'acte d'écrire et celui non moins périlleux d'écrire.
      Votre blog est étrange. On entre dans vos images (dessins, photos) ou dans vos textes (souvent ceux des poètes) et on ne sait plus lire, on sent ça qui entre dans la peau comme une écharde ou sur la peau comme un soupçon de soleil. Alors on réagit par des mots ou des silences, parfois par des dessins ou des lettres. Ça permet ça aussi internet : ces vraies rencontres.

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  7. Beau texte, qui m'a fait penser à l'"Autobiographie des objets" de François Bon - ici, le style est très différent. Votre billet m'a fait chercher ce poème :

    Quincaillerie


    Dans une quincaillerie de détail en province
    des hommes vont choisir
    des vis et des écrous
    et leurs cheveux sont gris et leurs cheveux sont roux
    ou roidis ou rebelles.
    La large boutique s’emplit d’un air bleuté ;
    dans son odeur de fer
    de jeunes femmes laissent fuir
    leur parfum corporel.
    Il suffit de toucher verrous et croix de grilles
    qu’on vend là virginales
    pour sentir le poids du monde inéluctable.

    Ainsi la quincaillerie vogue vers l’éternel
    et vend à satiété
    les grands clous qui fulgurent.

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    1. Le poème emblématique de la poétique de Jean Follain, Tania!

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  8. Dommage que l'on ne puisse insérer de photo dans les commentaires, je cite donc ceci, écrit d'une main maladroite et affiché dans l'atelier d'une forge de campagne :
    "LE FER AFFUTE LE FER"
    "L'HOMME L'HOMME"
    "ATELIER DE FORGE TAILLANDIER CLOUTIER 1880"
    "Le cloutier est un artisan solitaire comme le taillandier son seul compagnon de travail est le chien"

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    1. Mais si, vous pouvez laisser en lien l' url d' une image, d' une vidéo ou d' un site.
      Il suffit de le copier/coller dans votre commentaire.
      Comme cela :
      http://ryszardswierad.files.wordpress.com/2012/11/ryszardswierad-clou011.jpg

      Ou bien encore comme ici :

      http://us.123rf.com/450wm/debramillet/debramillet1309/debramillet130900019/22086311-nature-morte-de-clous-et-de-vis-sur-une-planche-de-bois-vieilli.jpg

      Bonne journée!

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    2. ( Et pour le lire...le mettre en bleu et cliquer sur " ouvrir le lien"!)

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    3. En copiant/collant ceci
      http://artiste-cmary.fr/blog
      ou en cliquant sur mon nom, on devrait globalement y arriver, je ne peux pas faire plus ciblé ;-)

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    4. Et bien, voilà qui est fait!
      En lisant votre première intervention je n' ai pu m' empêcher de penser au bureau de Pierre Boujut à Jarnac et de son vaste atelier avec l' écriteau fixé au-dehors " FERS ET FUTAILLES " et cette odeur prenante, bien particulière des fers et des aciers déposés en ce lieu.
      Jean Follain était un habitué des lieux

      http://4.bp.blogspot.com/-q3hr0vQ-Q4k/TfZpoKxzSoI/AAAAAAAAI_g/3jiM7OnhxnQ/s400/la%2Btour%2Bde%2Bfeu%2B1.jpg

      Follain le troisième debout à gauche et Pierre Boujut à sa droite.

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    5. Erreur!
      Jean Follain, quatrième en partant de la gauche et à ses côtés, Pierre Boujut.

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  9. Et pour plus de précision, le sixième debout ( de gauche à droite ) n' est autre que Jean Digot créateur des Journées de Poésies de Rodez et du Prix Artaud.

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  10. Superbe texte.
    Pour qui aimerait fleurir la tombe pratiquement abandonnée de Jean Follain, elle se trouve dans le petit cimetière de Canisy, dans la Manche.

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